Lydia est sage femme. Totalement investie dans son travail, sa vie est au-delà des hôpitaux une longue errance en solitaire. Seulement voilà : un jour, Lydia se retrouve avec le bébé de son amie Salomé dans les bras, et face à elle... Milos, un amant d'un soir. Pour garder Milos auprès d'elle, Lydia va dès lors improviser un mensonge dont elle ignore encore les conséquences gravissimes...
C'est une histoire qui ressemble à un fait divers. Mais le film qui la déploie, comme toute grande oeuvre féministe d'envergure (tel le Laetitia d'Ivan Jablonka) va clairement outrepasser son postulat d'article pour journalistes en manque d'imagination. Car ce premier long métrage signé Iris Kaltenbäck n'est pas seulement un thriller social, comme a pu l'être A plein temps avec Laure Calamy, c'est un complexe portrait de femmes.
Oui, de femmes. Au pluriel.
Lydia, c'est donc Hafsia Herzi, lumineuse actrice repérée chez Alain Guiraudie, Bertrand Bonello et Abdelatif Kechiche (La graine et le mulet), passée par la réalisation avec les très touchants Tu mérites un amour et Bonne mère. Une sage-femme d'excellence, en quête de tendresse, qui, peu à peu, va franchir la ligne rouge. Et c'est avec une empathie débordante que la cinéaste Iris Kaltenbäck nous invite à nous demander : pourquoi ?
Comment expliquer son geste ?
Or, derrière cette question vertigineuse s'esquissent mille enjeux féministes...
Car Le ravissement est une oeuvre psychologique captivante par sa tension en crescendo, et dont le vrai grand sujet est celui-ci : les mille visages de la maternité. Une grande thématique intime et politique, comme l'a encore démontré l'an dernier l'un des meilleurs films de procès français, le Saint Omer de la réalisatrice Alice Diop, récit "durassien" d'un infanticide.
Au coeur de ce sujet, une interrogation : qui est Lydia ?
Elle est à la fois l'ange gardien de toutes les mères (comme elle le dit, elle s'occupe davantage d'elles que de leurs bébés) et la mère des "enfants des autres", comme l'énonce le puissant film de Rebecca Zlotowsky... tout en incarnant à l'inverse une figure stigmatisée, diabolisée : la mauvaise mère.
Littéralement par ailleurs : le "ravissement" du titre va l'immortaliser dans ce statut. A son amie Salomé, elle ironise : "tu es la mère, je suis la putain".
Salomé, justement, est la mère dont la vie se voit bouleversée par sa première expérience de la maternité. La solitude que ressent sa "BFF" Lydia lors de ses déambulations nocturnes, Salomé l'éprouve en accouchant de son enfant. Début d'une vie ou fin d'une autre ? Doutes, fatigue, culpabilité, relâchements physiques : elle va présenter tous les signes de la dépression post-partum. Un autre aspect de la maternité, mis en lumière sans tabou.
Voilà toute l'intrigue, sensible et complexe, que nous présente finalement Iris Kaltenbäck : d'un côté, une femme qui n'est pas mère mais le simule pour ne plus être seule, et de l'autre, une mère qui explique avoir l'impression de "faire semblant" de tenir ce rôle, comme une mauvaise actrice.
Une tâche beaucoup trop lourde pour elle en vérité. Entre les lignes, une profonde tendresse s'exprime envers ces femmes qui souffrent de voir des étiquettes leur être assignées ou refusées par un système où la condition de mère demeure, plus qu'un cadre prédéfini, quelque chose de vaporeux, entre la malédiction, l'investissement, la comédie et la sacralité. Cette matière paradoxale, c'est la meilleure des sage femmes qui l'incarne.
Habité par des comédiens tout en retenue, illuminé par une actrice dont le grand regard mélancolique englobe mystère, trouble et vulnérabilité, Le ravissement est, à l'heure de la libération de la parole sur les affres de la maternité et du "mal de mères", d'une rare intelligence et densité.
C'est captivant, et remarquable.
Le ravissement, de Iris Kaltenbäck
Avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse...
En salles ce 11 octobre 2023