Par
Catherine Rochon
| Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
A travers ses réseaux sociaux "Parlons lesbiennes", Bilamé milite pour la visibilité des femmes qui s'aiment et distille ses conseils drôles et bienveillants à ses fidèles followers. Rencontre avec une "dramagouine" décomplexée.
Bilamé, créatrice du compte Instagram Parlons Lesbiennes
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Bilamé, 25 ans, "a pris conscience" (comme elle le dit) qu'elle était lesbienne il y a peu de temps. La faute à ce satané patriarcat sans doute, au manque de représentation aussi. Depuis, elle a décidé de donner de la voix avec ParlonsLesbiennes et de proposer un joyeux "voyage au pays des gouines" sur ses réseaux sociaux. Avec humour, elle s'applique à expliquer, dédramatiser, conseiller, déconstruire les clichés. Et distille avec espièglerie des tips sexo aux filles qui s'aiment.
Nous avons échangé avec cette créatrice qui veut "aider le maximum de personne à s'accepter telles qu'elles sont".
Terrafemina : Quand et comment as-tu pris conscience de ton lesbianisme ?
Bilamé : J'ai pris conscience que j'étais lesbienne en 2018. Au départ, je ne m'identifiais pas comme lesbienne. Je parlais de "fantasmes" lorsque j'évoquais les femmes, puis, je suis tombée amoureuse de ma meilleure amie et c'est lorsque j'ai passé ma première nuit avec elle que ma vie a complètement changé ! J'ai enfin compris que j'aimais uniquement les femmes.
Auprès de qui as-tu fait ton premier coming out ?
B. : Les premières personnes à qui j'en ai parlé sont mes deux meilleurs amis. Pour moi, c'était une évidence de leur en parler car ils faisaient déjà partie de la communauté LGBTQ+, et nous avions déjà eu plusieurs discussions à ce sujet. Puis, je l'ai annoncé à ma mère et enfin à ma famille et au reste de mes ami·e·s qui l'ont pour la plupart relativement toutes et tous bien accepté. Ils ont compris, surtout grâce à mon compte Instagram, que ce n'était pas quelque chose que nous pouvions choisir et que c'était normal. Parfois, ma mère m'envoie même des comptes LGBT+ maintenant (rires) !
De quoi as-tu souffert étant plus jeune ?
B. : Plus jeune, je dirais que j'ai énormément souffert du manque de représentations. Je pense que, s'il y avait eu plus de personnages fictifs queers, j'aurais mis beaucoup moins de temps à m'identifier en tant que femme lesbienne. Je pense que j'ai toujours su au fond de moi que j'aimais les femmes, mais il était impossible pour moi de mettre un mot dessus car je n'avais aucune connaissance sur le lesbianisme, ça n'existait tout simplement pas dans ma vie...
Etait-ce compliqué d'en parler autour de toi, même auprès d'ami·e·s ?
B. : En fait, je ne dirais pas que c'était compliqué, mais ça n'existait pas dans ma vie. Donc c'était un sujet que je n'osais pas vraiment aborder... C'est vraiment au lycée, quand j'ai fait la rencontre de mes amis très ouvert sur la question, que j'ai enfin pu en discuter et que j'ai pu me renseigner sur les questions relatives à l'orientation sexuelle.
Les lesbiennes sont peu visibles : as-tu eu une "rôle-modèle" qui t'a aidée à te construire et t'accepter ?
B. : L'invisibilisation des lesbiennes est vraiment quelque chose contre laquelle je milite au travers de mes différents comptes (Instagram, Tiktok, Facebook, Youtube et mon site internet). Mes rôles-modèles, lors de mon coming out, ont été majoritairement l'ensemble des personnages fictifs de la série The L Word, c'est vraiment cette série qui m'a permise de m'accepter comme j'étais.
As-tu été confrontée à la lesbophobie ?
B. : Au travers de mes réseaux sociaux, je suis malheureusement confrontée à la lesbophobie quasiment tous les jour : les remarques fusent plus après certains posts que d'autres. C'est malheureusement une réalité aujourd'hui, beaucoup ne sont pas prêts à accepter que deux femmes qui vivent ensemble et sont heureuses sans un homme fait partir de la "normalité"...
Dans le monde dit "réel", j'ai aussi été témoin de lesbophobie, une fois, à mon travail il y a quelques années, on discutait du mariage, et une de mes collègues qui à l'époque ne savait pas pour moi a dit : "Ca me dégoûte, ces mariages où les femmes se déguisent en homme", "Je plains les pauvres parents" "Moi, j'aurais honte d'avoir une fille lesbienne". A l'époque, je n'ai pas osé dire quelque chose, mais je suis partie de table outrée et j'ai prétexté avoir eu une urgence tellement j'étais en colère.
Ensuite, beaucoup (trop) d'hommes en soirée (soirée que je ne fréquente plus soit dit en passant), me disent que si je "suis lesbienne c'est parce que je n'ai pas connu le bon", "que je n'ai pas eu le bon mec"... Une fois, un mec a essayé de me forcer et a eu des gestes déplacés pour que j'ai un rapport avec lui, il a mis ça le lendemain sur le fait qu'il était "trop alcoolisé", mais c'est vraiment quelque chose qui m'a marquée.
Aujourd'hui encore, as-tu peur de t'afficher avec une amoureuse dans un lieu public ?
B. : Au risque de décevoir beaucoup des personnes qui me suivent, oui, j'ai encore peur, mais j'essaye de ne plus avoir peur justement ! Depuis que j'ai appris que certaines de mes ami·e·s s'étaient fait agresser au couteau pour s'être embrassées, je fais attention. J'essaye d'avoir des gestes affectueux dans des endroits avec du monde ou de manière globale dit "safe". Mais je ne suis pas de celles qui sont très proches avec ma compagne dans la rue, donc ce n'est pas quelque chose qui me pose problème.
Je rêve du jour où je n'aurais pas à me poser la question du : "Est-ce qu'ici il y a assez de monde pour pouvoir embrasser ma chérie sans risquer de me faire frapper ?"
Quand as-tu décidé de créer ton compte Instagram ParlonsLesbiennes ?
B. : J'ai créé mon compte Instagram en mars 2020. Au départ, il n'avait pas forcément vocation à être un compte d'éducation sexuelle et de lutte contre la lesbophobie, mais plutôt de faire rire les gens sur mes anecdotes de lesbiennes. Et au fur et à mesure qu'il a pris de l'ampleur, les questions se sont démultipliées : j'ai donc changé un peu le format de mon compte pour aider le plus de monde possible- et j'adore ça.
Tu y abordes aussi des questions de sexualité. Cela te paraît-il important de briser les tabous autour du sexe lesbien ?
B. : Oh que oui ! Il faut, si on écoute les médias et les idées reçues,
on fait toutes les ciseaux et on a toutes des godes ceintures, alors qu'en vrai, le sexe lesbien, c'est bien plus que ça ! Au travers de mon compte, j'essaye vraiment d'éduquer, tout en parlant bien évidemment
de jouets pour adultes. Et j'essaye aussi de véhiculer un message : il y a autant de sexualités que de lesbiennes qu'il y a des femmes sur terre !
Quels sont les clichés sur les lesbiennes que tu n'en peux plus d'entendre et qu'il faudrait absolument déconstruire ?
B. : Il y en a vraiment trop ! J'essaye d'en déconstruire au minimum deux par mois ou plus en fonction de mes vidéos. Mais ceux qu'il faudrait vraiment déconstruire, c'est :
- que les lesbiennes n'ont pas connu le bon (l'enfer celui-là )
- que les lesbiennes ont été dégoûtées par les hommes (pitié, vraiment)
- toute l'hypersexualisation autour des lesbiennes véhiculée par le porno, où il va de soi qu'on veut toutes faire des plans à trois avec un homme (bah, voyons)
- que notre sexualité se résume au ciseau (vraiment ?)
- que nous faisons pas vraiment l'amour (celle-là, c'est la plus drôle)
- que les lesbiennes ne peuvent pas être dit "féminines"
Des autrices comme Alice Coffin, Virginie Despentes ou Louise Morel envisagent le lesbianisme comme une réponse à l'oppression hétéro-patriarcale. Ton lesbianisme est-il aussi militant et politique ? B. : Pour moi, il est clair que le lesbianisme va à l'encontre même de l'hétéro-patriarcat par définition ! Rien que de dire que deux femmes peuvent être heureuses,
fonder une famille et ne pas avoir besoin d'un homme dans leur vie c'est une certaine forme de révolution pour moi ! Je milite au quotidien contre l'hétéro "patriarcaca".
Des artistes comme
Pomme,
Suzane, Aloïse Sauvage,
Kristen Stewart se revendiquent ouvertement lesbiennes. As-tu l'impression que les choses bougent enfin ?
B. : Alors dans un sens oui, je trouve que les choses changent, je vois une réelle évolution sur les réseaux sociaux et dans les mondes artistiques, on voit beaucoup plus les femmes lesbiennes et je trouve cela vraiment super. Cependant, je trouve qu'il y a un réel décalage avec une partie de la population qui manifeste contre les marches des fiertés à l'exemple de Bordeaux cette année. De plus, les délais de plaintes sont souvent classés sans suite quand il s'agit d'homophobie. Ca, il faut vraiment que ça change.
Un livre, un film et une série queer que tu kiffes ?
B. : Il y en a trop ! Je dirais :
- La série The L Word est sans conteste, pour moi, la meilleure série lesbienne de tous les temps. Ce que j'aime dans cette série, c'est la mise en avant de personnages lesbiens et son ouverture vis-à-vis des questions de transidentité.
- Heartstopper est une série que j'ai vraiment adoré aussi : elle raconte l'histoire d'amour entre deux adolescents au lycée et montre l'homophobie qui y règne.
- Les livres Mascarade de Lena Clarke et Juste une fois pour essayer d'Élodie Garnier, deux histoires de romances lesbiennes qui font du bien. Oui, je suis une grosse fleur bleue quand je veux...
Qu'attends-tu des politiques pour la cause LGBTQIA+ ?
B. : Plus de mesures pénales et rapides pour combattre l'homophobie. Mettre dans les programmes scolaires plus d'exemple queers, sans pour autant entrer dans l'excès, mais faire preuve de plus d'inclusivité et lutter dès le plus jeune âge contre toutes les formes LGBTQIAP phobie car l'homophobie n'est pas une opinion mais un délit.
Quel sera ton prochain combat ?
B. : Celui de militer contre toutes les injonctions sociétales faites aux femmes lesbiennes et aux femmes de manière plus générale et contre toutes les formes d'homophobie : c'est le combat d'une vie !
Mais l'autre point important sur lequel je mets un point d'honneur cette année, c'est aussi l'inclusion des femmes transgenres dans la communauté lesbienne. Il est pour moi important de rappeler que nous devons faire preuve d'inclusivité et que notre union est notre force.