On naît lesbienne et on le devient. C'est là la certitude de Louise Morel, autrice du bien-nommé Comment devenir lesbienne en dix étapes. Un manuel pas comme les autres (son titre le suggère volontiers) pour guider toutes les "hétéras" (femmes hétéros) s'interrogeant sur leur propre orientation sexuelle. Un livre qui puise dans une expérience individuelle pour questionner des enjeux collectifs, aussi intimes que politiques, avec minutie et bienveillance.
"On peut devenir lesbienne à n'importe quel âge. On peut devenir lesbienne en étant mère de plusieurs enfants issus d'un couple hétéro, à la suite d'une transition de genre, au lendemain d'une rupture hétéro. Tous les scénarios sont possibles", affirme la narratrice. Dans ce cas-là, pas facile d'appréhender ce devenir lesbien, ce rapport à soi et à sa sexualité, les termes à employer, voire même, sa propre lesbophobie, intériorisée, inconsciente.
Heureusement, Louise Morel apporte des clefs pour mieux arpenter ces zones d'ombre si épineuses. Entre récits profondément personnels et réflexions sourcées, conseils impudiques et sérénité sororale certaine, Comment devenir lesbienne... tend la main à ses lectrices pour les balader au gré de pistes alternatives et plurielles. Une lecture audacieuse à ne pas louper.
Et voici pourquoi.
On ne naît pas forcément lesbienne, comme l'énonce Louise Morel. Tout comme l'on ne naît pas forcément hétéro. Mais pourquoi est-ce si important de le dire ? Car affirmer que l'on ne choisit jamais son orientation sexuelle reviendrait à passer sous silence des expériences individuelles qui pourtant existent. Et plus encore, à essentialiser. Mais pas seulement.
"Nous risquons de nous faire piéger dans la logique homophobe selon laquelle le seul élément qui pourrait éventuellement justifier de ne pas nous traiter comme des sous-merdes serait de nous considérer comme des victimes de notre orientation, des déviant·es malgré nous", décoche l'autrice.
On peut devenir lesbienne. L'autrice l'est devenue à presque trente ans. Elle ajoute : "D'autres l'ont toujours été, certaines ne le seront jamais".
Derrière ce titre volontairement frontal, Louise Morel délivre une réflexion libre sur le genre, rythmée par la nuance et la pédagogie. "Dire que son orientation sexuelle est figée revient à dire que toutes les personnes hétérosexuelles l'ont toujours été et le seront pour toujours", abonde la narratrice.
Le maître-mot de cette introspection est donc la remise en question et tout ce qu'elle suppose : doutes sur soi, liberté, choix, et même, sentiment d'être complètement paumée.
Cependant, ce "devenir lesbien" lui-même n'a rien d'un point final, la narratrice l'assure avec emphase : "Devenir lesbienne n'est pas la fin de l'histoire, mais le début d'aventures pleines de surprises et de rebondissements".
"Le chemin n'est jamais fini. On est pas moins lesbienne parce qu'on l'est devenue plus tard et on a toujours le droit de changer", développe Louise Morel, qui témoigne des conséquences d'un patriarcat qui catégorise les sensibilités, enferme ce qui ne demande qu'à s'émanciper.
Au creux de ses mots s'énonce sa propre expérience, et notamment sa propension à beaucoup trop remettre en question son lesbianisme, à chercher à le valider d'une manière ou d'une autre. Louise Morel s'attaque à diverses situations intimes, comme son appréhension à se retrouver au lit avec des femmes dans une société qui ne cesse de mettre en concurrence les individualités féminines, leur apparence physique, leurs corps.
Le cheminement abordé n'a donc rien d'évident, d'autant plus au sein d'un système où le lesbianisme est source de fétichisation, cible d'un regard particulièrement réducteur. A l'inverse, "la sexualité est polymorphe, mouvante, et la quête d'une Vérité de soi éternelle et immuable relève d'un fantasme qui n'est d'ailleurs pas particulièrement intéressant", affirme l'autrice.
Comment devenir lesbienne en dix étapes dénote aussi par son absence de tabou. Notamment lorsque son autrice aborde le sujet de la sexualité - volontiers vecteur des fantasmes cités plus haut. Des bases ("il est très fréquent, même quand on est lesbienne, de ne pas sentir une vague d'excitation immédiate et irrésistible s'emparer systémiquement de soi à la simple vue d'une jeune femme") aux schémas alternatifs (les plans à trois).
Attirance, drague, pratiques, Louise Morel n'élude rien l'espace d'un chapitre très concret. Et témoigne de ses propres constats : "Quand j'ai commencé à explorer la sexualité avec les femmes, je me suis mise à la recherche d'un "script", mais ce scénario-type n'existe pas. On baise selon ce dont on a envie. Les possibilités sont multiples. Vous pouvez utiliser dix sextoys ou aucun, ça peut durer cinq minutes ou quatre heures, vous pouvez jouir plein de fois ou zéro, le faire trois fois par jour ou une fois tous les six mois".
"Cette absence de mode d'emploi enlève beaucoup de pression", affirme l'autrice. Laquelle entre deux recos, rappelle l'essentiel à ses lectrices : "Réfléchissez à vos limites. Quelles pratiques vous excitent et quelles sont celles qui pourraient vous mettre mal à l'aise ? La personne en face de vous n'est pas votre sextoy, traitez-la comme un être humain à part entière".
Dans son appel à ne pas cloisonner le genre et l'attirance dans des cases trop étroites, Louise Morel délivre un récit à la fois intime et politique. D'autant plus quand il s'agit d'aborder une lesbophobie encore prégnante. Elle prend plusieurs formes : questions déplacées (sur la sexualité notamment), insultes, harcèlement de rue - "marcher en tenant la main d'une femme à Paris ou à Berlin revient à s'exposer à des insultes. Le pire à mes yeux ce n'est pas la violence de l'insulte mais l'état de qui-vive dans laquelle elle m'installe".
La lesbophobie peut aussi être intériorisée. Louise Morel évoque notamment la situation des femmes qui ont peur d'employer le mot "lesbienne" au motif "qu'il serait moche ou aurait trop de connotations sexuelles". Sans oublier "toutes les lesbiennes qui ont encore du mal avec leur identité".
Face à cela, l'autrice délivre une véritable ode à la culture lesbienne, abordant aussi bien les lieux culturels LGBTQ que les podcasts et autrices.
Et parmi ce "génie lesbien" théorisé par Alice Coffin dans son essai éponyme, un nom iconique émerge : celui de Virginie Despentes. Romancière subversive dont les mots recouvrent la quatrième de couv' : "A mon avis, dans vingt ans, la plupart des meufs seront lesbiennes. Ca va se faire tout seul. Parce que tout est tellement mieux. Sexuellement, tu n'y perds pas et pour tout le reste, c'est tellement un soulagement inouï que... Qu'est-ce que tu vas te faire chier ?".
Comment devenir lesbienne en dix étapes, par Louise Morel. Editions Hors d'atteinte, 230 p.