Culture
L'interview girl power de Marie Papillon
Publié le 21 mai 2021 à 16:41
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Elle cultive son humour absurde sur Instagram et se lance aujourd'hui dans la série : dans "Marie et les choses", l'irrésistible Marie Papillon donne vie aux objets et c'est très drôle. Mais derrière ses blagounettes, la comédienne affiche aussi ses convictions aussi intimes que politiques. Rencontre.
L'interview girl power de Marie Papillon © Rita Braz
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Des prises électriques qui parlent, un réveil qui grogne, des lampes qui murmurent, un balai qui chante... Il y a de l'animation dans le monde décalé de Marie Papillon. Car oui, la jeune comédienne est adepte de paréidolie : elle perçoit des visages dans les objets qui l'entourent. Et elle en a fait une série. A travers ces petites capsules aussi tendres que poétiques diffusées sur Téva, Marie et les choses plonge dans l'univers barré d'une trentenaire en quête d'amour.

Du coaching amoureux prodigué par sa brosse à dents au face-à-face cocasse avec une bouche d'égout, les conversations intimes de la jeune femme avec les objets servent de réceptacles à ses questionnements, ses doutes, ses failles. Grâce à ce format ultra-court (2 minutes) et efficace, l'humoriste (révélée par ses petites vidéos loufoques postées sur son compte Instagram) saisit avec légèreté des instantanés de la vie quotidienne. Et en profite pour pulvériser quelques tabous dont on rougit encore trop souvent à grand renfort d'autodérision.

Son inséparable chienne (et co-star) Bibi sous le bras, Marie Papillon est venue nous parler de son projet, mais pas que. Discriminations, lesbianisme, féminisme et inspirations : l'autrice, réalisatrice et comédienne nous dévoile avec pudeur ses engagements, mais aussi de ses espoirs et son "monde idéal".

Terrafemina : Comment t'est venue cette idée de donner une âme aux objets ?

Marie Papillon : Petit déjà, je voyais des visages dans les objets. Et j'ai commencé à les poster sur Instagram en me disant que je n'étais probablement pas la seule à parler à mes prises électriques. Et les gens se sont marrés. Pendant le confinement, l'effet a été décuplé car les gens se sont mis à observer les objets chez eux. Et cela nous a permis de penser à autre chose que le Covid, de nous changer les idées. De fil en aiguille, les internautes ont commencé à me taguer, en prenant des photos d'objets pendant leur trajet pour aller au travail, chez des amis... Avec ma productrice, on s'est dit que ça serait très drôle d'en faire une série. Et je me suis lancée. Faire parler les objets pour faire passer des messages et sensibiliser, c'est plus facile.

Il y a-t-il beaucoup de voix dans ta tête ?

M.P. : Oui, je pense qu'on est plusieurs là-haut ! (rires) Mais à côté de ça, je suis posée et assez mature sur pas mal de sujets grâce à ma première vie d'entrepreneuse (Marie Papillon était à la tête de plusieurs sociétés d'événementiel- Ndlr). Deux versions cohabitent en moi : une version adulte et une version gamine. Ma créativité est une manière de rester innocente et de m'évader dans ce monde d'adulte qui te crache régulièrement à la figure.

Ce sont des voix alliées ou des tyrans intérieurs ?

M.P. : Ca dépend. Dans la série, tous les objets qui sont chez "Marie", dans son cocon, vont l'aider et l'encourager, et les objets extérieurs vont la déstabiliser. C'est aussi mon cas dans la vraie vie : le nombre de fois où après-coup, je me dis : "Mais pourquoi tu as dit ça ?"...

Tu en profites pour parler de sujets encore peu abordés à la télé comme la vulve ou les poils. Cela te paraissait important ?

M.P. : Tous les sujets abordés dans la série sont des sujets de mon quotidien ou dont on parle avec des copines. Il y a par exemple cet épisode où Marie va à la pharmacie pour une mycose et les pharmaciens parlent très fort de sa situation. On ne devrait pas avoir honte de ça, et pourtant... Pour les poils, c'est la même chose : cela reste un tabou, même dans l'intimité. On se monte vite le bourrichon, alors qu'on peut en rigoler ensemble.

Tu évoques aussi de l'intimité aux débuts du couple. Tout le monde devrait se reconnaître dans la scène des toilettes par exemple.

M.P. : Oui, c'est très tabou dans une relation au début alors qu'on sait parfaitement comment cela va évoluer : on fait nos petites affaires la porte grande ouverte pendant que l'autre regarde la télé et au final, tout le monde s'en fout ! Je voulais l'aborder parce que c'est en fait complètement débile. Et puis, ça parlera à tout le monde.

Tu as immédiatement affirmé ton lesbianisme. N'as-tu jamais craint d'être victime de cyber-harcèlement ?

M.P. : Je n'ai pas du tout pensé à ça, tout simplement parce que je n'ai pas envie de faire ma vie en fonction des gens qui ne seraient pas d'accord avec mon mode de vie ou ce que je suis. Je n'ai pas voulu mettre davantage en avant le fait d'être en couple. Parce que j'espère que l'orientation sexuelle ne sera bientôt plus un sujet.

Dans ma vie, ça n'en est pas un, que cela soit avec mes amis et ma famille. Et dans mon monde idéal, le fait d'être avec un homme ou une femme ne serait pas un sujet non plus. Je suis amoureuse de quelqu'un, point.

Dans la série d'ailleurs, le fait que tu sois lesbienne est un non-sujet.

M.P. : Oui, d'autant qu'il y a peu de lesbiennes qui sont mises en avant dans les séries télévisées. Ou alors, elles ne sont pas prises au sérieux en tant que femmes lesbiennes en couple qui veulent fonder une famille. C'était important pour moi de rendre la lesbienne visible sans que la série tourne uniquement autour de ça. Et même la chaîne n'y a vu aucun problème. C'est comme cela qu'on normalisera les choses.

La comédienne Marie Papillon © Rita Braz
Considères-tu cette visibilité comme politique ?

M.P. : Je dirais que cela peut être un combat au quotidien pour me faire accepter comme je suis. J'ai la chance d'être née dans une famille incroyable qui m'a acceptée telle que j'étais. Mais je sais que ce n'est pas le cas de tout le monde. Et c'est valable pour toutes les discriminations, pas seulement LGBTQI+, c'est une lutte permanente. J'ai envie de dire : je suis lesbienne, je fais des choses, je m'assume et je ne vais pas vous mordre !

L'humour repose-t-il encore trop sur des schémas trop oppressifs ?

M.P. : J'essaie d'avoir un humour qui n'est pas moqueur, basé sur l'autodérision et la bienveillance parce que je considère que je peux me moquer de moi-même. Me moquer des autres, prendre le risque de les blesser ne m'intéresse pas. Ce n'est pas encore le cas de beaucoup d'humoristes.

As-tu déjà été victime de sexisme dans ce milieu ?

M.P. : Oui, on est victime au quotidien. En grandissant, on se rend compte que toute notre vie, toute notre adolescence, nous en avons été les cibles. Avant, c'était quelque chose de "normal". Ce n'est qu'aujourd'hui qu'on le réalise et qu'on en parle. On peut dire : "Attendez les gars, voilà pourquoi on a peur, pourquoi on ne veut plus ça".

Certains hommes sont d'ailleurs désarçonnés. Mais expliquer cette peur qui nous tenaille, en mettant des mots dessus, peut permettre une prise de conscience face à ce sexisme ordinaire. Et cela pourraient les encourager à se rééduquer, à changer le tir. Je l'espère.

As-tu ressenti cette libération de la parole à partir de #MeToo ?

M.P. : Oui, très clairement. En tant que lesbienne, je ne me sentais pas concernée. On ne m'avait jamais alertée là-dessus. Aujourd'hui, j'essaie de m'éduquer au quotidien. J'ai suivi des comptes Instagram comme Prépare-vous pour la bagarre, celui de Fiona Schmidt, Décolonisons-nous- parce que le racisme fait aussi partie de ces combats. J'essaie de me sensibiliser et de sensibiliser les gens pour qu'on se rééduque.

Et as-tu été la cible de lesbophobie ?

M.P. : Bien sûr, il y a eu des attaques homophobes ou des petits détails. Comme ces copines qui m'annonçaient comme "la copine lesbienne" lors d'une soirée, en me catégorisant sans le vouloir. Mais globalement, je suis entourée d'ami·e·s, de proches qui ne m'ont jamais jugée. Je pense par contre à toutes ces personnes, ces jeunes, qui ne peuvent pas vivre leur homosexualité ou ne peuvent pas faire leur transition. Et qui se suicident parfois à cause de ce rejet. Il est temps que ça change.

Te considères-tu comme féministe ?

M.P. : Oui, puisque je suis une femme, que j'ai envie de défendre les droits des femmes, les femmes en général, et qu'on arrive enfin à une égalité avec les hommes.

Les trois femmes qui t'ont le plus inspirée dans ta vie ?

M.P. : D'abord Buffy de la série Buffy contre les vampires : c'était la première meuf qui allait seule la nuit dans des cimetières et qui se battait avec des mecs, des vampires, des méchantes. Elle n'en avait rien à foutre. Elle pouvait sortir avec deux hommes en même temps, avait une sexualité. Et je me disais que cette meuf était trop badass – et trop belle aussi. A l'époque, c'était avant-gardiste de voir cette nana avec des super-pouvoirs qui s'assumait.

Je dirais aussi Dodo, ma voisine de 75 ans et mon amie. Elle m'inspire tous les jours. Elle n'est pas de cette génération, mais elle s'y plaît et est hyper avertie sur plein de sujets. Avec Dodo, on peut passer des journées entières à parler de féminisme, de femmes et c'est hyper intéressant. Nous sommes une génération super connectée et parfois, on oublie de connecter avec les vrais gens.

Et enfin, Sandra Bullock, parce que j'adore ses films, je trouve que c'est une actrice incroyable. Elle a une autodérision qui me plaît beaucoup. Même quand elle joue dans des films qui ne sont pas hyper drôles à la base, elle a quand même cette ironie et cette drôlerie. Je l'aime !

L'avancée en matière de droits des femmes que tu attends toujours ?

M.P. :La PMA pour toutes. Il faudrait y aller et vite, les gars ! Quand j'écoute tous les débats autour de ça, qu'on en soit encore à discuter de ce qu'on peut faire de notre corps ou pas, ça me fait hyper mal au coeur. Je veux bien que l'on puisse ne pas toutes et tous avoir les mêmes avis, mais est-ce qu'on pourrait essayer de se mettre à notre place deux secondes ?

La chanson "girl power" qui te rebooste ?

M.P. : Just Want to Have Fun de Cindy Lauper.

Ton mantra inspirant ?

M.P. : "Quand il y a un doute, il n'y a pas de doute" : j'adore cette phrase.

Ton dernier moment badass ?

M.P. : La vie d'une femme est badass en général ! Je sors avec Bibi dans la rue, je vais faire mes courses... Par exemple, quand je suis allée garer ma voiture au parking et que j'ai vu que je n'avais pas de réseau, qu'il n'y avait pas de caméra, j'ai flippé. Et quand j'en suis ressortie, c'était ma petite victoire. C'est quand même dingue qu'on soit obligées de penser à ça...

Marie et les choses

Avec Marie Papillon

50 épisodes de 2 mn

Diffusion dès le 22 mai 2021 sur Téva

Mots clés
Culture series News essentielles interview Girl power feminisme LGBTQI humour
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