19:36, mercredi 18 mars. Ça fait deux jours qu'on ne peut plus sortir de chez nous ou presque. Chez moi, le confinement se passe "bien" : j'ai le luxe de pouvoir continuer à bosser de mon canapé (ce que je fais déjà 75 % du temps de toute façon, vis ma vie de pigiste). Ma fille étant encore un minuscule petit être - mais qui fait ses nuits, joie, je n'ai pas non plus à la divertir h24, ni à recevoir de la bouffe en pleine figure à chaque repas. C'est plutôt du vomi de lait infantile à cet âge-là, ce qui n'a rien de très savoureux, surtout quand ça vous arrive sur le visage, mais ça s'incruste moins profondément.
Qui dit restrictions de déplacements dit en réalité isolation totale du reste du monde, de sa famille et - à notre grand dam - de nos ami·e·s. Forcément, pour celles et ceux qui avaient l'habitude d'une vie sociale extrêmement remplie, ça fait un vide. Quand on habite seul·e, d'autant plus. Pas d'apéro, pas de cafés en terrasse, pas de ciné, pas de soirées à mater les dernières séries sous un plaid, pop-corn salés dans le saladier et commentaires acerbes au coin de la bouche. Car avouons-le, l'unique raison pour laquelle on se rassemble pour apprécier ensemble un épisode quelconque, c'est pour y aller de sa petite remarque entre deux gorgées de vin - ou de thé, il y a deux écoles. Un passe-temps qui n'a rien de vital, soyons honnête, mais qui fait du bien. Un passe-temps auquel je m'adonne sans trop de remords quand je retrouve mes amies - et une en particulier.
Seulement voilà, le coronavirus et les messages incessants (mais justifiés) des soignant·e·s, qui nous implorent de ne pas se sentir pousser des ailes de pseudo-résistance en se réunissant, me confortent dans l'idée que la meilleure façon d'aider à la gestion de la crise et d'arrêter le plus vite possible l'épidémie, c'est de rester chez moi.
"Notre rituel télé devra donc attendre quelques semaines", me dis-je un peu déçue, repassant nos fous rires devant Les Marseillais au ralenti dans ma tête, musique nostalgique en fond, larme prête à couler le long de ma joue. Un état qui n'a duré que deux minutes, je vous rassure, soit le temps qu'il m'a fallu pour tomber sur la dernière invention de Netflix : Netflix Party. Vivant pour le journalisme de terrain, j'ai décidé de l'essayer.
Le principe est simple : on télécharge l'extension via Chrome, en tapant tout simplement "Netflix Party Chrome" sur Google, puis on se rend sur la plateforme de streaming. On choisit un film, un documentaire, un épisode de série à regarder qu'on lance. La petite icône de l'extension, en haut à droite de notre fenêtre de navigation, devient rouge ; on clique dessus pour "Start the party", et on envoie l'URL générée aux personnes avec qui on souhaite partager ce moment précieux.
J'ai personnellement choisi mon acolyte de toujours, qui m'a convaincue de laisser sa chance au programme Love Is Blind, une sorte de Mariés au premier regard à l'ère du confinement.
Je ne plaisante pas, les candidat·e·s sont enfermé·e·s dans une maison, et doivent faire connaissance avec leur potentielle moitié à travers un sas aménagé en salon, séparé en deux unités isolées : l'une pour l'homme, l'autre pour la femme. Une sorte de speed-dating à l'aveugle (aucun des deux ne peut se voir ni se toucher) qui mise tout sur la personnalité des participant·e·s. A la fin du jeu, si l'un·e et l'autre se choisissent, ils se marieront et se découvriront (enfin). Le scénario m'intrigue, je me dis qu'il y aura probablement de quoi débriefer en direct.
Oui parce que tout l'avantage de Netflix party, c'est la barre de messagerie instantanée (ou tchat, pour ceux qui ont connu Caramail) qui s'affiche à la verticale, à droite de l'écran. Assez discrète pour ne pas trop empiéter sur la fenêtre de visionnage, assez grande pour pouvoir lire ce que ma correspondante préférée pense des blagues ultra-lourdes de Barnett, concurrent et parfait cliché du joueur de base-ball américain. En prime, on a chacune un avatar illustré qu'on peut modifier à l'envie. J'ai choisi la saucisse de hot-dog (je ne suis pas sûre de ce que ça dit de moi), elle, le chien-pingouin.
Autre bon point de la manoeuvre : la synchronisation. Lorsque je clique sur "play", l'épisode démarre. Lorsque je clique sur pause, il s'arrête. Pareil pour revenir en arrière ou avancer. Une fois qu'on se trouve tous·te·s sur le contenu, nos lectures se font au même rythme. Ce qui évite de s'y prendre à dix reprises pour démarrer en même temps, et ne pas spoiler l'autre. Malin.
Pour être tout à fait honnête, on a arrêté le visionnage du chef d'oeuvre au bout de 20 minutes. A cause d'un appel soudain, certes, mais aucune de nous deux n'a vraiment souhaité reprendre ensuite. Rapidement, l'intérêt s'était porté sur nos messages plutôt que sur l'émission (dramatique, à mon humble avis) et celle-ci nous servait plutôt de toile de fond pour formuler de gentilles moqueries et dériver sur d'autres sujets (le coronavirus, entre autres) que de réel moteur à notre expérience. J'imagine qu'un épisode de l'excellente série Sex Education n'aurait pas eu le même effet. Déjà parce qu'aucune moquerie ne se serait immiscée, et ensuite parce que décrocher nos yeux dix secondes de l'écran nous aurait paru trop long.
Netflix party est donc idéal pour combler un manque dû à l'isolation actuelle, et découvrir des pépites télévisuelles dont la qualité scénaristique frôle le néant. Pour ce qui est des créations dignes de ce nom, on préférera les admirer sans l'ombre d'une distraction.