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"On peut plus rien faire, on peut plus rien dire" : Pierre Ménès et le bingo du sexisme
Publié le 23 mars 2021 à 11:37
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Au coeur de la polémique suite à la censure du documentaire "Je ne suis pas une salope" de Marie Portolano, le chroniqueur Pierre Ménès avait l'occasion de se repentir sur ses agressions passées. Au lieu de cela, il s'est enfoncé.
Pierre Ménès sur le plateau de Touche pas à mon poste le 22 mars 2021 Pierre Ménès sur le plateau de Touche pas à mon poste le 22 mars 2021© Capture d'écran C8
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Il avait un boulevard pour faire acte de contrition : il en a fait un bingo du beauf sexiste. Car après avoir censuré le documentaire Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste de Marie Portolano pour protéger son chroniqueur Pierre Ménès comme l'a révélé Les Jours, son employeur, le groupe Canal +, lui a offert une tribune dans l'une de ses officines, Touche pas à mon poste sur C8 ce 22 mars. L'émission de Cyril Hanouna, toujours aussi subtile, avait teasé cette invitation en promettant de dévoiler "en exclusivité" l'extrait qui avait été tronqué. Belle tentative de damage control après une journée où la magie de l'effet Streisand a joué à plein régime. Car si l'empire Bolloré espérait étouffer et planquer l'affaire discrètement sous le tapis, cette tentative aura surtout attiré tous les regards en direction de Pierre Ménès et fait ressurgir ses méfaits passés, qui n'ont pas tardé à être exhumés des profondeurs des internets.

On a ainsi pu (re)découvrir une vidéo accablante du chroniqueur embrassant de force la journaliste sportive Francesca Antoniotti sur le plateau de Touche pas à mon sport, le tout sous les rires féroces du public. C'était en 2016, un an avant #MeToo. Le bon vieux temps si l'on en croit Pierre Ménès. Parce que oui, évidemment, maintenant : "On peut plus rien faire, on peut plus rien dire", a-t-il osé.

Empoigner les fesses d'une femme, l'embrasser de force, faire des commentaires lourdingues sur son look : ça, c'était la grosse marrade (ou de la franche camaraderie).

Dans ce fameux extrait tronqué diffusé dans TPMP, on peut ainsi découvrir Pierre Ménès enchaîner les perles sexistes sans une once de regrets, ni d'inquiétude, en totale roue libre. Alors que la journaliste Marie Portolano le confronte à ce moment où il avait soulevé sa jupe, il lâche : "C'est sûr que si t'étais un mec, j'aurais pas soulevé ta jupe. C'est mon côté un peu rebelle. Moi, si je peux plus chambrer une meuf, parce que c'est une meuf, c'est insupportable."

Cette beaufitude tranquille ("Si on ne peut plus rien dire à une femme parce qu'elle est une femme, ça, c'est sexiste. Dire à une fille qu'elle est jolie avec son décolleté, moi je trouve ça plutôt gentil"), cette désinvolture teintée de paternalisme face à la personne qu'il a agressée se justifierait presque. Car Pierre Ménès n'a jamais été inquiété par ses employeurs. Pire, il a été protégé, épaulé. En censurant le documentaire Je ne suis pas une salope, la chaîne cryptée a envoyé un signal très clair : elle se place du côté de l'oppresseur et piétine la parole des victimes. Pourquoi s'affoler lorsqu'on navigue dans un système qui a érigé les outrages les plus odieux (sexistes, racistes, homophobes) en business-model ? Pourquoi se mettre la rate au court bouillon quand toutes les digues ont sauté depuis bien longtemps et qu'aucune sanction n'a jamais été prise au plus haut niveau ? Après tout, "il faut aussi prendre les gens comme ils sont. J'ai été embauché parce que je suis un personnage", lâche-t-il.


C'est donc sans sourciller que Pierre Ménès l'affirme dans le documentaire, droit dans les yeux de Marie Portolano : "Oui", il le referait. Son côté "un peu rebelle", dit-il, bravache, s'imaginant vraisemblablement ultra-cool. Et à mille lieues de réaliser que non, il n'est pas un "rebelle" : il est bel et bien un agresseur.

La faute à #MeToo

"Embrasser quelqu'un de force/par surprise, lui 'attraper les fesses'... Sur un plateau TV, dans les transports, au travail, quel que soit le contexte, il s'agit d'une agression sexuelle punie par la loi", a ainsi rappelé la porte-parole du ministère de l'Intérieur.

Mais Pierre Ménès n'a pas percuté, il ne s'est jamais posé la question. Parce que la question ne s'est jamais posée. Il n'a même "aucun souvenir de cette histoire de jupe". Dans ce boys club déconnecté et complice, se comporter en prédateur n'a rien d'anormal, c'est même une routine, une récréation, "un pari" pour amuser le cirque cathodique. L'humiliation des femmes comme ressort comique, de la chair à audimat. A bas la sempiternelle "bien-pensance" (nouveau paravent nébuleux des réacs en croisade contre le féminisme ou l'antiracisme) : donnons-leur des femmes harcelées et des rires bien gras.

Endossant la posture victimaire déjà étrennée par Patrick Poivre d'Arvor (accusé de viol) sur le plateau de Quotidien quelques semaines plus tôt, Pierre Ménès s'est donc lamenté sur son sort sur le plateau de Cyril Hanouna : "C'est horrible pour moi, c'est surtout horrible pour ma femme qui se fait insulter". Mais s'est une fois encore planté de défense. "Ce que je pouvais me permettre il y a cinq ou dix ans, je peux plus le faire", désignant cette satanée révolution #MeToo comme responsable de cette nouvelle censure rabat-joie. "Je suis parfaitement conscient que tout ce qui m'est reproché est intolérable dans le logiciel de 2021", a-t-il geint.

Sauf que ces comportements n'étaient pourtant pas plus acceptables et pas moins délictueux avant #MeToo. A l'instar des "petits bisous dans le cou" de PPDA, qui regrettait lui aussi ce bon vieux temps. Mais puisque nous sommes ici dans une grande opération de réhabilitation et qu'il faut bien en passer par là, Pierre Ménès lâchera finalement : "On ne me reprendra plus jamais à faire des choses comme ça. Je regrette profondément." Un peu tard ?

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