Farida Belghoul n’accepte pas d’interview des journalistes, qu’elle accuse d’être « vendus » au système. C’est sur Internet, dans de longues vidéos diffusées sur le site d’Egalité et Réconciliation d’Alain Soral, ou sur la page Facebook consacrée à la Journée de retrait de l’école, qu’on peut l’écouter discourir sur notre époque « décadente ». Elle y brocarde la désormais célèbre, et souvent mal interprétée, « théorie du genre », qui « entre dans toutes les écoles et les institutions scolaires ». Et de citer à l’envi les travaux de John Money, ce psychologue et sexologue néo-zélandais très controversé, pour mieux distiller l’inquiétude.
Une rancune tenace et ancienne vis-à-vis du PS
Née en 1958 d’une famille algérienne installée à Paris, Farida Belghoul se frotte au militantisme sur les bancs de l’Université de Paris-Tolbiac, où elle côtoie les cercles communistes. Au lendemain de la « Marche des Beurs » en 1983, la jeune femme lance Convergence 84, un mouvement de lutte pour l’égalité, à l’origine d’une seconde marche qui prend pour mot d’ordre : « La France c'est comme une mobylette, pour avancer, il lui faut du mélange ». Mais, jugée trop radicale, Farida Belghoul perd son influence au sein de l’antiracisme naissant au moment du lancement de SOS Racisme par Harlem Désir et Julien Dray. Une déconvenue qui nourrirait depuis son amertume à l’égard de ce qu’elle considère comme une récupération politique. Interrogée par Terrafemina, Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République et figure de la lutte antiraciste aujourd’hui, porte, elle, un regard sévère sur la « lecture conspirationniste » de l’ancienne marcheuse. « Farida Belghoul est, comme Dieudonné, un symptôme, un produit de la déception politique des descendants d’immigrés », résume-t-elle.
Cette rancoeur ancienne sous-tend-elle aujourd’hui le discours alarmiste de Farida Belghoul sur l’école ? « La théorie du genre, comme le diable, existe bel et bien, et vous devez vous lever pour protéger vos enfants, sinon ils seront sacrifiés », n’hésite-t-elle pas à déclarer sur une vidéo diffusée sur la page Facebook de la Journée de retrait de l’école. Accents complotistes, ton martial - ses vidéos s’achèvent sur le slogan « vaincre ou mourir » - le discours de Farida Belghoul s’inspire fortement des thèses qui fleurissent sur les sites web d’extrême-droite. La militante explique ainsi être rentrée en France d’Egypte, où elle vivait depuis quelques années, afin de mener la lutte contre l’introduction supposée de la « théorie du genre » à l’école, un « braquage qui s’opère sur nos familles ».
L’école, un combat ancien pour Farida Belghoul. Cette dernière, après avoir quitté le mouvement antiraciste, était en 1996 devenue professeur d’histoire-géographie en lycée professionnel. Choquée par le niveau des élèves « illettrés et incultes », elle accuse encore aujourd’hui l’école de mettre en place des méthodes pour que les enfants ne réussissent pas. En 2007, d’ailleurs, elle finit par déscolariser ses enfants afin de les protéger du système scolaire français. Une expérience que retrace le documentaire « Sauve qui peut » de la réalisatrice Samia Chala. Farida Belghoul monte alors un projet de cours particuliers pour les enfants des quartiers populaires, le Reid (pour Remédiation éducative individualisée à domicile) qui lui vaut un portrait élogieux dans Libération en 2008. Néanmoins le projet tombe à l’eau, faute de financements.
Cinq ans plus tard, l’ancienne pasionaria réapparaît aux côtés d’Alain Soral. Au cours d’un entretien sur le mouvement beur, diffusé par le site Egalité et Réconciliation, elle dénonce en 2013 la « manipulation » autour des luttes antiracistes dans les années 80, et notamment le rôle joué par l’Union des Etudiants juifs de France (UEJF). « Certes, dans SOS Racisme, il y avait l’UEJF, mais c’est tout ce qu’a retenu Farida Belghoul », analyse Houria Bouteldja, pour qui la militante « s’est constituée elle-même en butin de guerre » de Soral. Cerise sur le gâteau, à la suite de cette vidéo, Farida Belghoula se voit décerner une « quenelle d'or » de la part de Dieudonné, « trophée » qui récompense ceux qui ont grâce aux yeux de l’humoriste.
Farida Belghoul rencontre E&R (1/2) par ERTV
Les enfants, ces « kleenex sexuels »
Au sein des militants antiracistes, Houria Bouteldja n’est pas la seule à incriminer l’évolution politique de l’initiatrice de la Journée de retrait de l’école. Dans une tribune virulente parue sur le site Streetpress, Kaissa Titous, une ex-camarade de lutte de Farida Belghoul, fustige ainsi son alliance avec l’extrême-droite et son combat contre l’école. « Pourquoi, nous, qui avons subi le racisme, la relégation, la stigmatisation devrions nous reprendre le discours religieux de l’extrême droite, de la droite et des associations religieuses, et à notre tour dénoncer des boucs émissaires ? », s’insurge-t-elle. « Les gosses qui ne vont pas à l’école, en raison de ton instrumentalisation politique des inquiétudes ou sensibilités des parents, ils ont demandé quoi ? On leur a demandé leur avis ? Comment vont-ils s’expliquer auprès de leurs copains ? Vas-tu les laisser seuls face à l’institution scolaire et subir les conséquences ? », poursuit-elle.
« Farida Belghoul s’adresse à des populations fragiles », s’inquiète Houria Bouteldja. Pour la militante, la panique qui s’est emparée de certains parents alertés par la campagne de SMS témoigne de l’importance de la famille, « dernier rempart contre la discrimination ». « Protéger la famille », c’est pourtant le leitmotiv de Farida Belghoul, toute à sa croisade contre l’école qui « veut transformer [les] enfants en kleenex sexuels ».
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