Culture
Nouvelle femme de cinéma : l'interview de Susanna Nicchiarelli
Publié le 13 décembre 2017 à 17:32
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Après avoir électrisé la Mostra de Venise avec son portrait de la chanteuse Nico, la réalisatrice italienne Susanna Nicchiarelli clôture son année rêvée au Festival de Cinéma Européen des Arcs. L'occasion de l'interroger sur sa place de cinéaste et sur ses inspirations.
Susanna Nicchiarelli à la Mostra de Venise en septembre 2017 Susanna Nicchiarelli à la Mostra de Venise en septembre 2017© Getty Images
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Parler de femmes au cinéma, Susanna Nicchiarelli connaît. La réalisatrice italienne a remporté cette année Prix du Meilleur film au Festival international du film de Venise dans la section Orrizonti pour son bouleversant Nico 1988 (sortie en France prévue en mars 2018). Elle y brosse le portrait hanté de l'ombrageuse chanteuse du Velvet Underground et muse rock d'Andy Warhol à travers les trois dernières années de sa vie. Après cette consécration à la Mostra, la réalisatrice est en compétition au toujours pointu Festival de Cinéma Européen des Arcs qui se tient du 16 au 23 décembre. Au terme de cette année bousculée par le scandale Harvey Weinstein et par la montée en puissance de voix féminines fortes au sein de l'industrie cinématographique pour dénoncer le sexisme, nous avons interrogé Susanna Nicchiarelli sur la place des réalisatrices et sur ses inspirations.

Terrafemina : À votre avis, qu'est-ce qui se met en travers de la route des femmes réalisatrices ?

Susanna Nicchiarelli : Je ne connais pas la situation française, mais en Italie, le parcours d'une femme est plus difficile dès le début. Dans les écoles de cinéma, les femmes qui candidatent pour intégrer des classes de mise-en-scène sont moins de 30%. Il y a donc une forme d'autocensure à cause bien sûr d'un imaginaire dominant machiste. En plus, en Italie, il y a une énorme problème de gestion des enfants, de disponibilité des crèches et d'adaptabilité en général aux difficultés de la maternité, qui est considérée encore comme un problème et pas comme un droit de la femme. La gestion d'un travail compliqué comme celui de réalisatrice devient donc presque incompatible avec la maternité. C'est un obstacle à la carrière d'une femme qui veut tourner ses propres films.

Tf : 99% des femmes travaillant dans l'industrie du film et de la télé ont déjà dû faire face au sexisme. Est-ce votre cas ?

Susanna Nicchiarelli : Le sexisme est partout, même à l'école et à l'université.

Tf : Jodie Foster a déclaré que les réalisatrices avaient une approche différente pour raconter les histoires. Êtes-vous d'accord ?

Susanna Nicchiarelli : Les réalisatrices peuvent faire des films qui présentent un imaginaire alternatif à l'imaginaire machiste, mais les hommes réalisateurs peuvent en faire aussi. Et il y a bien sûr des réalisatrices qui reproduisent cet imaginaire machiste sans en prendre les distances.
Je préférerais qu'on commence à parler des individus plutôt que des femmes et des hommes. Tout en travaillant contre un imaginaire dominant qui doit être abattu.

Tf : L'affaire Harvey Weinstein bouscule le milieu du cinéma depuis plus d'un mois. Comment l'avez-vous vécue et pensez-vous que cela puisse faire changer les choses ?

Je voudrais que les hommes qui harcèlent les femmes, qui profitent des jeunes actrices ou réalisatrices, qui mettent en difficulté les femmes de tout âge avec des questions ou des propositions personnelles, qui ont l'habitude de faire ça impunément sans que personne ne leur dise rien : voilà, je voudrais que tous ces hommes-ci, et en Italie il y en a beaucoup, commencent à vivre dans la terreur d'être dénoncés ou injuriés. Je voudrais qu'il fassent attention à tout ce qu'ils disent et font, qu'ils apprennent à respecter les distances, à ne jamais parler en termes sexistes même avec d'autre hommes, qu'ils aient honte et peur d'apparaître sexistes face aux autres. L'affaire Weinstein peut servir à ça, à changer la tête de ces hommes, au moins en leur faisant peur. Et à donner le courage aux femmes de dénoncer, d'arrêter de subir en silence.

Tf : Quelle est votre icône féministe ?

Susanna Nicchiarelli : Je crois que j'en ai pas une seule, je ne crois pas aux icônes. Mon film sur Nico traite de cela, sur le fait que les icônes souvent ne correspondent à rien : ce sont les personnes qui comptent et la lutte féministe est menée tous les jours par des milliers des femmes.

Tf : Quel est votre film "féministe" favori ?

Susanna Nicchiarelli : Question difficile aussi. Mais je dois admettre que quand j'étais adolescente et que j'ai vu Thelma et Louise, ça m'a beaucoup choquée et cela m'a changée profondément.

Le film Thelma et Louise © Europe Image
Tf : Avec quelle actrice rêveriez-vous de tourner ?

Susanna Nicchiarelli : Trine Dyrholm (actrice et chanteuse danoise qui interprète Nico dans le film- ndlr) était une de mes actrices préférées et je suis fière d'avoir travaillé avec elle. Meryl Streep est peut-être mon actrice préférée.

Tf : Les trois femmes qui vous ont le plus inspirée dans votre vie ?

Susanna Nicchiarelli : Ma grand-mère, ma mère, ma soeur.

Tf : La femme qui vous a le plus inspirée cette année ?

Susanna Nicchiarelli : Trine Dyrholm, parce que j'ai appris beaucoup en travaillant avec elle. Et aussi Nico, parce que sa vie, sa musique, ses pensées m'ont accompagnée du début de ce projet et m'accompagnent encore quand je présente le film et que j'entends la réaction du public.

Affiche du film Nico 1988 de Susanna Nicchiarelli © Kinovista
Mots clés
Culture News essentielles interview festival les Arcs feminisme sexisme Nouvelle femme de cinéma
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