Pour des millions de personnes, Taraji P. Henson est indissociable de Cookie Lyon, le personnage volcanique mais tout en nuances qu'elle incarne dans la série Empire. Il faut dire qu'à l'instar de la reine du hip-hop fictive, l'actrice américaine est aussi talentueuse que grande gueule. Cette hargne, Taraji P. Henson l'a mise au service d'un rôle qui se place pourtant aux antipodes de celui de Cookie. Dans Les figures de l'ombre (en salles ce mercredi 8 mars), elle prête ainsi ses traits à Katherine Johnson, une mathématicienne et ingénieure spatiale de la NASA ayant participé à la conquête de l'espace par les Américains dans les années 60. Un film gracieux et poignant qui raconte comment la NASA et les États-Unis ont maintenu dans l'ombre Katherine et d'autres scientifiques afro-américaines (incarnées par Octavia Spencer et Janelle Monae) alors que ces dernières ont largement contribué au succès des programmes aéronautiques et spatiaux de l'agence gouvernementale américaine. Il aura fallu vingt ans à Taraji P. Henson avant d'arriver au sommet, mais sa persévérance aura eu du bon. Portrait d'une actrice phénomène en 3 points.
Issue d'un quartier pauvre du sud de Washington, Taraji P. Henson s'est toujours battue pour ses rêves même si les écueils auraient pu lui faire baisser les bras à maintes reprises. Rejetée par une école de théâtre alors qu'elle est encore au lycée, elle persévère, entre à l'université Howard, en sort diplômée quelques années plus tard. Secrétaire au Pentagone le jour, elle monte sur scène la nuit, chante, danse, prend tout ce qu'il y a à prendre. Puis elle enchaîne les petits rôles à la télévision. On l'aperçoit dans Urgences, Felicity ou encore Dr House. En 2005, le succès est enfin au rendez-vous grâce au film Hustle and Flow, qui obtient un prix à Sundance et un Oscar de la Meilleure chanson originale, chanson interprétée par Taraji. Malheureusement, la consécration tarde à venir.
C'est finalement en obtenant le rôle de la mère adoptive de Brad Pitt dans L'étrange histoire de Benjamin Button en 2008 que la voie commence à s'ouvrir. Nommée aux Oscars dans la catégorie Meilleure actrice dans un second rôle, Taraji P. Henson perd face à Pénelope Cruz. Bien décidée à se consacrer au cinéma même si les rôles se font rares, la comédienne est rattrapée en 2015 par le petit-écran. En obtenant le rôle de Cookie Lyon, bad girl au grand coeur, dans la série Empire, Taraji P. Henson peut enfin croquer dans le succès à pleine dents. Auréolée d'un Golden Globe en 2016, elle déclare avec fougue au public : "Attendez une minute ! J'ai attendu 20 ans pour ce moment, à vous d'attendre un peu !"
Certains ont reproché à Empire son côté too much et ses intrigues parfois alambiquées. Mais la série de la Fox se rattrape sur bien d'autres côtés. Outre son casting parfait, Empire est une ode à la diversité, qu'elle soit raciale ou sexuelle. En choisissant d'intégrer un personnage homosexuel à son casting (Jamal, le fils de Cookie et Lucious), la série a ainsi mis en lumière un problème dont on parle peu : l'homophobie dans le milieu du hip-hop. Un programme gay-friendly donc, qui a également mis à l'honneur une chanteuse bisexuelle et une lesbienne. Sous son aspect parfois léger, Empire cache donc un sous-texte, ce qui n'est pas pour déplaire à Taraji P. Henson, qui soutient les droits LGBT et qui a même prêté ses traits à une campagne de sensibilisation pour l'association NOH8. Dans une interview accordée à Télérama en 2015, l'interprète de la savoureuse Cookie, déclarait avec sa fougue habituelle :
"Prenez l'homosexualité de Jamal, le fils cadet de Cookie et Lucious. Nous montrons peu ses ébats, mais beaucoup la réaction de sa famille. Nous questionnons l'intolérance et l'incompréhension des parents, qui entraîne souvent des tentatives de suicide chez les jeunes gays qui craignent que personne ne les aiment tels qu'ils sont. J'ai l'impression qu'Empire peut aider certains d'entre eux à aller mieux, en mettant en scène leurs souffrances, et espérons en ouvrant les esprits de leurs parents... (elle marque une pause, puis s'anime) En fait, je déteste l'idée de devoir faire son coming out. Pourquoi les homos devraient-ils absolument annoncer à la terre entière qu'ils aiment les gens du même sexe ? Nous n'avons pas à crier sur tous les toits que nous sommes hétéros, non ? Je déteste les étiquettes !"
De Jennifer Lawrence à Jessica Chastain en passant par Patricia Arquette, les actrices américaines sont de plus en plus nombreuses à fustiger publiquement l'inégalité salariale qui gangrène Hollywood. Une disparité parfois colossale qui a touché de plein fouet Taraji P. Henson, comme elle l'a révélée dans ses mémoires. En effet, si L'étrange histoire de Benjamin Button a permis à l'actrice d'être nommée aux Oscars, la production du film n'a pas été tendre avec elle. Non seulement, la star a dû payer son hébergement elle-même durant les trois mois de tournage à la Nouvelle-Orléans, elle a aussi touché environ 2% du salaire de Brad Pitt et Cate Blanchett. Honorée lors de la cérémonie Women in Films en 2016, Taraji P. Henson a fait part publiquement de son ras-le-bol face au sexisme ambiant qui règne à Hollywood. Prenant d'abord le ton de l'humour, la star des Figures de l'ombre s'est ensuite fait plus sérieuse : "Pourquoi devrions-nous être payées moins qu'eux ? Est-ce parce qu'ils ont un pénis ? Parce que nous vivons actuellement dans un monde où il est possible pour moi de m'en faire greffer un. L'égalité salariale et la parité à Hollywood sont importantes car ce qui se passe à l'écran affecte les décisions des gens. Nous sommes les gardiens de nos histoires. Si les femmes ne sont pas inclues, c'est tout simplement injuste".
Être une femme, qui plus est noire, à Hollywood, n'a fort heureusement jamais découragé l'actrice de 46 ans. "Avons-nous vu assez de films mettant en avant des histoires d'Afro-américains ? Non. Mais est-ce qu'Hollywood a été horrible avec moi ? Non, j'ai travaillé. Est-ce que j'ai toujours été payée comme il le fallait ? C'est une question dont nous devrions parler. (...) Mais une chose est sûre, je vais continuer à bosser comme une dingue, et peut être que mon travail participera à changer les choses pour la génération qui arrive derrière moi", déclarait-elle ainsi lors d'une table ronde organisée par The Hollywood Reporter fin 2016. Taraji P. Henson, le role-model qu'on attendait.
Les figures de l'ombre, réalisé par Theodore Melfi, avec Taraji P. Henson, Octavia Spencer, Janelle Monae, Kevin Costner, Kirsten Dunst... Sortie le 8 mars 2017