En ce moment, vous vous rendez au bureau en traînant des pieds. Depuis quelques jours, ou quelques semaines peut-être. Car avouez-le, vous n'allez pas bien. Rupture sentimentale. Embrouilles familiales. Soucis dans votre appart'. Problèmes de santé. Le coup de mou vous martèle. La dépression pointe le bout de son nez. Vous le redoutez, le burn-out n'est (vraiment) pas loin. Quelque chose vous libérerait d'un poids : en parler à vos collègues. Et à votre patron·n·e, histoire de lui évoquer le pourquoi de votre fulgurante baisse de rythme. Une bonne idée en apparence. Mais l'est-elle vraiment ? Faisons le point.
Lorsque l'on se rend à son travail, on a tendance à se déconnecter totalement de ses soucis persos. On impose, presque inconsciemment, une sorte de frontière invisible entre notre vie privée et nos heures de bureau. L'un ne doit pas empiéter sur l'autre. Un comble, quand l'on sait l'importance que la bureaucratie moderne accorde (sur le papier tout du moins) aux "passions", au "bien-être" et aux "hobbies" de ses employé·e·s. Et que la majorité des questions de vos collègues concernent directement votre situation personnelle - du "alors, ce week-end ?" au mythique "ça va ?". Mais puisqu'elles sont avant tout "de politesse", ces interrogations excluent tout ce qui est moins "sexy", du coup de blues aux problèmes de santé. Comme si parler de tout cela était "politiquement incorrect".
C'est d'ailleurs l'avis du coach de carrière Scott Robson, qui du côté de Bustle n'y va pas de main morte : "Tout ce qui est de nature extrêmement personnelle doit absolument être tenu à l'écart des conversations". Vous ne devez pas franchir "la ligne", que ce soit pour évoquer votre situation financière ou communiquer vos anxiétés du jour : si l'angoisse qui vous tiraille est récente, elle est peut-être temporaire. Alors autant s'accorder une pause plutôt que de vriller devant votre boss.
C'est aussi l'opinion du site Career Addict, qui nous assure qu'évoquer vos problèmes financiers, physiques ou psychiques peut changer la façon dont les gens vous perçoivent au travail. Si vous êtes malade, vos collègues vont alors présumer que vous ne pouvez pas faire votre travail correctement. Et elles et ils vous considéreront comme "le bambin du bureau qui doit être câliné et surveillé". Le psychologue Nikki Martinez nous explique à ce titre que, "bien que l'honnêteté soit une vertu", dévoiler votre vulnérabilité peut hélas se retourner contre vous. Ce genre de remarques vous dégoûte à vie du monde du travail ? Rassurez-vous, tout n'est pas foutu pour autant.
Car rien ne vous interdit de parler de vos problèmes. Simplement, il faut savoir comment en parler. Et à qui. A votre patron en premier lieu, en lui détaillant - sans trop en faire - la nature de votre situation, sa gravité, et les éventuelles incidences que cela pourrait avoir sur votre travail, en terme de productivité. Visez le discours le plus pragmatique possible : cette préoccupation risque-t-elle d'influer longtemps sur votre travail ? Et si oui, comment pouvez-vous vous y adapter sans perturber l'organisation de la boîte ? En terme d'absences et d'échéances par exemple ?
Surtout, "n'attendez pas que la qualité de votre travail et vos niveaux de concentration se détériorent davantage", prévient le coach de carrière Jess Chua du côté de Forbes. D'ailleurs, même le média référence de la culture business nous l'affirme : "On ne peut pas simplement faire basculer un interrupteur et se présenter au bureau en étant une personne différente".
Inutile donc de cacher trop longtemps ce qui vous perturbe. Cela ne ferait qu'aggraver la situation. Allez voir votre boss. Sans l'alarmer, demandez-lui quel serait le moment idéal pour papoter autour d'un café. Assurez-vous que celui-ci n'est pas "occupé à éteindre d'autres incendies" : qu'il est dans de bonnes conditions pour vous écouter. Soyez honnête, sans pour autant communiquer votre panique. Bref, "ne faites pas de votre problème son problème". Ces conseils sont ceux de l'homme d'affaires Maynard Webb, businessman aux quarante ans d'expérience et ex-président de Yahoo.
Des tips solides. Car selon Forbes, il ne suffit pas simplement de combattre son angoisse à grands renforts de balles anti-stress, de thé ou de méditation. Non, il faut surtout trouver un juste milieu entre le trop et le pas assez quand il s'agit d'évoquer sa détresse. Ni hypocrisie, ni pathos. On a tendance à l'oublier, mais notre lieu de travail n'a rien du divan d'un psy. Même lorsque l'on déballe enfin ses quatre vérités au coin de la machine à café. Mais rester motus et bouche cousue face au boss, c'est le laisser, lui aussi, dans le brouillard.
"Un bon manager apportera son soutien et demandera à un collègue de vous aider dans certaines tâches, ou bien vous encouragera à faire appel à un professionnel pour faire face au stress", ajoute Jess Chua. Derrière ce manager se profilent des interlocuteurs tout aussi estimables, comme la direction des ressources humaines et la médecine du travail.
"Avoir un contact plus personnel avec votre patron·n·e n'est pas une mauvaise chose. En fait, cela peut même vous aider à consolider votre relation professionnelle", nous rassure même le site The Muse, qui inclue "votre vie en dehors du taf" dans son Top des sujets à aborder à votre boss. Cette interaction permet, au passage, de lui offrir une version alternative (et peut-être légèrement moins embarrassante) de ce qu'il ou elle perçoit de vous sur les réseaux sociaux. Soucis ou non, nourrir cet échange ne peut être qu'une bonne chose. Lui évoquer votre passion pour Gilmore Girls ou votre week-end en Picardie aidera par la suite "à vous sentir plus à l'aise pour lui parler de problèmes graves", soutient The Muse. L'idée est d'engager un dialogue sans pour autant décocher la case "professionnalisme".
L'idéal pour s'assurer cet équilibre entre vie privée et job est d'ailleurs de vous tourner vers ceux et celles qui tolèrent davantage cet entre-deux : vos collègues. Briser la glace durant un break, ou mieux encore, leur proposer un déj' en dehors des heures de boulot, est une bonne option. Il suffit juste d'avoir confiance en eux. Etre certain·e qu'on ne les prend pas en otage. Bref, se trouver des "confident·e.s".
Mais le plus important reste de ne jamais mésestimer l'importance de votre santé physique et mentale. Car plus d'un salarié sur deux sont en situation de "fragilité" personnelle. Difficultés financières, maladie grave, deuil récent. Mais tout aussi intenses sont les situations de fragilité professionnelle : conditions de travail physiques éprouvantes, sentiment de déshumanisation, perte de sens. Preuve en est que les deux domaines sont intimement liés. Et que vous vous êtes très loin d'être seul·e à ne pas oser parler. Alors, sautez le pas !