Ce samedi 6 juin, de nombreuses femmes turques ont décidé de dénoncer les clichés sexistes en utilisant le biais de l'humour. Avec le hashtag "que les hommes restent à leur place" (#ErkeklerYeriniBilsin), elles renversent la situation pour démontrer le ridicule des carcans qui les oppressent. "Un homme ne doit pas rire en public", "Il portait un mini-short", "Apprenez à conduire" : des affirmations arbitraires que les Turcs et le gouvernement assènent aux femmes pour qu'elles "restent à leur place", depuis toujours.
Tout a démarré lorsqu'une internaute a posté "Mon mari peut travailler s'il le veut" - un tacle pas si subtil aux hommes qui se considèrent éveillés parce qu'ils "permettent" à leurs femmes de travailler, rapporte le média émirati The National. Rapidement, le tweet devient viral. Il récolte plus de 12 000 partages, et donne l'impulsion aux utilisatrices du réseau social de contribuer à déboulonner ces expressions discriminantes et réductrices publiquement.
L'une d'elles lâche : "Comment a-t-il fait pour obtenir ce poste ? Il a dû coucher. De toute façon, il est tout le temps en jean slim". Une autre : "Je vois des hommes qui mettent des mini-shorts serrés, du parfum et qui s'esclaffent dans la rue. Après, ils se plaignent d'avoir été agressés sexuellement".
Quelques heures plus tard, des personnalités locales prenaient le relais. La chanteuse Sıla, connue pour sa prise de position critique à l'encontre du président Erdogan, mais encore la mairie d'Istanbul, qui parodie un dispositif mis en place pour protéger les femmes (des hommes) lorsqu'elles prennent les transports en commun le soir : "A partir de 22h, les chauffeurs de nos autobus permettront aux hommes de descendre où ils veulent, pour leur sécurité". Une publication imitée par la ville de Sisli, peinture rose en plus.
"Même dans les périodes les plus répressives en Turquie, les femmes ont réussi à lever le voile de l'atmosphère oppressive avec des campagnes et des actions très créatives", félicite la députée de l'opposition, membre du Parti démocratique des peuples Filiz Kerestecioglu. Pour Canan Gullu, présidente de la Fédération turque des associations de femmes, "la contribution des autorités locales a permis de sensibiliser à la rhétorique à laquelle sont soumises les femmes".
Car c'est bien ce que cette dérision soulève : un fléau tragique et meurtrier. En 2019, 413 Turques ont été assassinées leur (ex-)conjoint, selon le groupe de défense des droits des femmes Nous ferons cesser le féminicide. Et bien que le président Erdogan se soit déjà exprimé contre les violences faites aux femmes, elles l'accusent de ne pas en faire assez pour les empêcher, explique l'AFP. Et de participer à une culture machiste qui ne fait que servir ces crimes. Par le passé, il a notamment décrit les femmes qui travaillent comme "rejetant la maternité" et qualifié celles sans enfant d'"incomplètes". En 2014, le vice-Premier ministre, Bülent Arinç, avait suscité l'indignation en déclarant qu'une femme ne devait "pas rire bruyamment en public".
Fatmagul Berktay, professeur de sciences politiques et d'études féminines à l'université d'Istanbul, explique au National que la montée des politiques conservatrices s'est accompagnée d'appels à l'abrogation de la Convention d'Istanbul et d'autres protections pour les femmes. Et de lancer : "Dans ce climat, il est plus important que jamais que les femmes soient vigilantes et protègent leurs droits, qu'elles élèvent la voix contre la tentative de restauration masculine et contre la violence sexiste".