Depuis le 24 février, Olga Syutikova, 38 ans, vit dans la terreur, la boule au ventre. Mais elle a choisi de rester dans son pays comme tant de ses compatriotes ukrainiens. Elle nous écrit depuis Kyiv, la capitale assiégée. Sa ville si tranquille avant que Vladimir Poutine ne déclenche son offensive insensée. Elle nous partage des vidéos des bâtiments éventrés par les bombardements, des photos des décombres d'immeubles. Dans sa vie d'"avant", Olga travaillait pour le Programme des Nations Unies pour le développement en tant qu'experte sur le changement climatique et la restauration de la nature.
"Mon partenaire et moi avons travaillé en tant qu'écologistes et biophysiciens sur plusieurs projets internationaux. Le soir, nous avions l'habitude d'aller à des cours de sport, de faire un sauna, de la natation. Nous pouvions marcher dans nos beaux parcs toute la nuit car nous n'avions tout simplement aucun criminel dans notre ville de Kyiv." Elle se remémore avec nostalgie cette douceur de vivre, cette quiétude. "La dernière soirée paisible avant que la Russie ne commence à bombarder l'Ukraine, j'achetais encore des cadeaux pour le mariage de mes amis proches en Colombie. Nous avions réservé des billets d'avion pour aller à Bogota le 27 février."
Autant de projets avortés par l'invasion impérialiste des troupes russes au prétexte d'une "opération spéciale" visant à "une dénazification de l'Ukraine". "Lorsque je vous décris notre quotidien avant l'invasion, avez-vous l'impression que nous avions des problèmes qui nécessitaient que la Russie vienne 'pour nous aider' et 'nous délibérer' ?", ironise-t-elle. "Nous étions si heureux avant que ces 'orques' russes ne débarquent sur nos terres. Oui, nous les appelons 'orques' car nous combattons ici avec le mal absolu."
Depuis l'offensive, la douceur a basculé dans l'horreur, la désolation quotidienne. "Plus de quatre immeubles à plusieurs étages ont été touchés par des bombes et des roquettes à Kyiv. Les bombes proviennent principalement du territoire biélorusse, qui est utilisé par les Russes pour bombarder nos villes. Ma famille et moi avons passé plusieurs nuits à dormir dans nos voitures au parking souterrain."
Mais Olga Syutikova tient à rester coûte que coûte, en dépit du danger, pour "aider son peuple", fournir des informations et de l'approvisionnement. Elle soutient également les forces spéciales militaires, mais elle préfère ne pas en dire davantage. Son compagnon, docteur en sciences, a quant à lui rejoint les rangs de l'armée ukrainienne. "Il a pris cette décision dès le premier jour où la guerre a commencé, car nous devons protéger notre maison et tout ce que nous aimons."
"Pour le moment, je dirais que Kyiv est relativement sûre grâce à la défense anti-aérienne autour de la ville. Mais de nombreuses belles villes ukrainiennes sont déjà détruites, il ne reste que des pierres et de la poussière."
Sa vie depuis ce sinistre 24 février ? L'attente, le bruit des sirènes, la colère. Et chaque jour, "une à trois explosions" à l'intérieur de Kyiv ou à proximité. "Nous ne savons pas si nous allons nous réveiller le matin ou pas."
"Avant cette guerre, nous n'avions jamais entendu de sirènes en Ukraine, nous n'avions jamais eu de couvre-feu... Aujourd'hui, nous devons rester à la maison presque tout le temps. Les restrictions et les menaces liées au Covid ne sont tellement rien par rapport à ce que nous vivons. Quand je sors, je conduis ma voiture dans les rues vides de la capitale, avec ce son glacial des sirènes. Et je vois des hommes armés de la défense territoriale à chaque coin de rue – pour la plupart des civils, qui tiennent l'arme pour la première fois de leur vie..."
Et il y a le silence aussi. "Je n'ai aucune nouvelle de certains de mes amis. Je ne sais pas s'ils ont survécu, car nous avons perdu des contacts", écrit-elle.
Au coeur du chaos, un soulagement cependant. La fille d'Olga, 18 ans, était partie en vacances avec ses amis au Sri-Lanka dix jours avant l'invasion. Elle est aujourd'hui à l'abri chez des amis de la famille à Paris, faute de vols retours vers l'Ukraine. "Je suis contente qu'elle n'ait pas été là quand cela a commencé. Elle est aujourd'hui en sécurité en France. J'espère que c'est temporaire", confie-t-elle. "De plus, étant une étudiante en deuxième année à la faculté de biologie ici à Kiev, elle a obtenu de pouvoir suivre certains cours à la Sorbonne."
La capitale Kyiv et son agglomération sont aujourd'hui assiégées avec ce que cela implique de problèmes d'approvisionnement. Olga cite ces "villes satellites" comme Irpin, Gostomel, Bucha ou Vorzel paralysées par les troupes tchétchènes et russes. "Les gens sont totalement bloqués. Mes amis et voisins se sont cachés dans le sous-sol de la maison privée pendant 12 jours sans électricité. Ils allument juste la cheminée et vont puiser de l'eau du puits. Tous ces gens avaient des maisons modernes de luxe équipées de technologies modernes il y a encore quelques semaines à peine."
Beaucoup de ses amies accompagnées de leurs enfants ont fui, comme 4 millions d'exilés. Certaines se sont réfugiées en Allemagne, en République tchèque, en Slovénie et en Suède. Leurs maris, des civils, sont restés pour aider l'armée à combattre ceux qu'elle nomme "les terroristes russes". "Toutes ces familles ne veulent pas être des réfugiés : elles veulent revenir dans leurs maisons détruites et les reconstruire dans leurs villes natales."
Tout comme de nombreux Ukrainiens, Olga Syutikova a été surprise de découvrir la métamorphose du président Volodymyr Zelensky dont elle n'était pas particulière fan avant la guerre. "Je suis fière que le président Zelensky n'ait pas quitté l'Ukraine, qu'il ne se cache pas dans un bunker et qu'il continue de protéger les personnes et la liberté de notre pays", reconnaît-elle. "Je pense qu'il est devenu le véritable leader de l'Europe alors que de nombreux politiciens démocrates ont encore peur de dire que la Russie est en train de devenir un empire fasciste possédant l'arme nucléaire et impose une véritable menace pour le monde entier. Les dirigeants de l'Union européenne pensent-ils toujours qu'ils pourraient surmonter cette menace simplement en ayant du pétrole, du gaz et du caviar bon marché ? Ont-ils eu des cours d'histoire à l'école sur l'idéologie du Reich ?"
Qu'espère-t-elle aujourd'hui ? "Tout ce que nous voulons de l'Europe et des États-Unis, c'est la protection de notre ciel, à la fois pour nos hommes et pour protéger nos centrales nucléaires des bombardements avant qu'il ne soit trop tard pour nous tous". Car elle l'affirme : "Ce n'est pas la guerre pour les ressources ou la guerre contre certains groupes politiques. Non, c'est un génocide de tous les êtres vivants ici."
"Je souhaite qu'aucune nation et aucun pays dans ce monde ne soit confronté à la même horreur que celle que nous vivons en Ukraine en ce moment. Je souhaite que cette guerre soit la dernière. Les pays civilisés doivent dès maintenant développer les nouveaux mécanismes économiques, politiques et sociaux efficaces pour empêcher tout type d'agression juste avant qu'elle ne commence."
Elle lance ainsi un appel, qui sonne comme un avertissement glaçant : "L'Europe, l'ONU, l'OTAN, l'Agence internationale de l'énergie atomique doivent agir maintenant, si vous voulez sauver vos maisons et vos pays. La Russie a déjà détruit la moitié de l'Ukraine et tué des milliers de personnes en un mois. Et ils peuvent aller plus loin."