Il est apparu la mine grave, les yeux cernés, vêtu d'un pull kaki. Face caméra, Volodymyr Zelensky s'est adressé avec solennité et sang-froid à son peuple ce 24 février, alors que sa patrie, l'Ukraine, venait de basculer dans la guerre : "Nous sommes dans un moment important. Le sort de notre pays est en train de se décider."
En l'espace de quelques jours, le président a opéré une mue stupéfiante. Et est devenu le héros improbable auquel le monde a tant besoin de se raccrocher lorsqu'il chancèle vers l'obscurité. Un David ukrainien contre le Goliath russe.
Pourtant, Volodymyr Zelensky n'était pas un chef de guerre né, pas même un apparatchik affûté. Car ce diplômé de droit s'est d'abord fait connaître à travers la série Serviteur du peuple, une émission humoristique diffusée sur la chaîne 1+1. Ironiquement, il y interprétait un prof propulsé de manière soudaine dans la sphère politique jusqu'à devenir... président de l'Ukraine.
Fort de sa popularité, le jeune comédien, né en 1978 de scientifiques d'origine juive et russophones, prenait alors une décision audacieuse : lancer son propre parti, du même nom que son show télé, en vue de se présenter à l'élection présidentielle en 2019. Un pari gagnant. Car en ciblant la corruption des élites qui gangrène le pays et en jouant de l'ambiguïté avec son double fictionnel, sympathique et intègre, le novice a séduit (notamment les jeunes). Et est parvenu à battre haut la main le président sortant, Petro Porochenko, avec un score bluffant (73,2 % des voix au second tour).
Alors que sa côte flanchait depuis quelque temps (il lui a notamment été reproché le manque de transparence dans la distribution de fonds réunis lors de la crise sanitaire du Covid) et que son image était écornée par son implication dans le scandale de fraude fiscale des Pandora Papers en 2021, le destin de Zelensky va brutalement percuter celui de l'Histoire. Lorsque l'incontrôlable Vladimir Poutine a pris la décision d'attaquer l'Ukraine ce jeudi 24 février, le jeune chef d'Etat de 44 ans s'est immédiatement posé en rempart face à l'envahisseur russe.
Zelensky aurait ainsi refusé l'offre d'évacuation des États-Unis. Il restera à Kyiv, la capitale. Et ce alors même que la Russie l'aurait désigné, lui et sa famille, comme cibles prioritaires. Dans une déclaration déjà passée à la postérité, il aurait ainsi répliqué : "Le combat est ici. J'ai besoin de munitions, pas d'un taxi". Culte.
"On découvre sa capacité à faire face. Je pense qu'il se découvre lui-même. Il révèle une autre stature et ce qu'il fait est incroyable", nous confie la réalisatrice ukrainienne Anastasia Mikova. "Je ne pense pas que beaucoup de présidents seraient capables de ce courage-là en pareille circonstance".
Multipliant les allocutions télévisées percutantes pour encourager ses concitoyens et appeler son peuple à résister face aux assaillants russes, Zelensky a endossé un nouveau costume : celui de leader rassurant et de solide chef des armées. "Je suis là. Nous ne déposons pas les armes. Nous défendrons notre pays, car notre arme est la vérité, et notre vérité est que c'est notre terre, notre pays, nos enfants, et nous défendrons tout cela."
Conscient que la guerre se joue aussi sur le terrain de l'image, il joue la carte de la modernité, se filme dans les rues de Kyiv, se photographie bras dessus bras dessous avec son ministre de la Défense, apparaît aux côtés des soldats vêtu d'un gilet pare-balles, tweete à longueur de journée pour remercier les chefs d'Etat européens qui apportent de l'aide logistique et humanitaire à l'Ukraine. Le message est passé : il est à Kyiv, il y restera.
Mais surtout, il décroche son téléphone et enchaîne les appels afin de chercher des soutiens pour mettre la pression sur Vladimir Poutine. "Zelensky a réussi à obtenir une gamme sans précédent de sanctions contre la Russie grâce à une série d'appels aux alliés", souligne le Guardian, rapportant les propos d'un leader européen : "Nous sommes en admiration devant lui. Il ne sera peut-être pas en mesure de sauver l'Ukraine ou de changer la Russie, mais il est en train de changer l'Europe."
En une poignée de jours à peine, l'Union européenne est sortie de sa torpeur, comme revigorée par l'électrochoc de la guerre, faisant bloc derrière l'Ukraine. Asphyxiée par les sanctions économiques massives, ostracisée et isolée du reste du monde (le pays est par exemple exclu du prochaine Mondial de foot), la Russie est prise en tenaille. Et perd sur le terrain de l'opinion publique alors que des marées humaines descendent dans la rue en soutien aux Ukrainiens (250 000 personnes à Berlin le week-end dernier).
Le comique télévisuel s'est ainsi transformé en chef de guerre charismatique, en leader politique et fin diplomate, capable de galvaniser son peuple et de rallier derrière lui une Union européenne revivifiée qu'il rêve aujourd'hui d'intégrer "sans délais".
"Nous nous battons pour notre survie (...)] mais nous nous battons aussi pour être des membres égaux en droit de l'Europe (...) Donc, prouvez que vous êtes avec nous, prouvez-vous que vous ne nous abandonnez pas, et que vous êtes vraiment des Européens", a-t-il lancé lors d'un discours déjà historique en visio ce 1er mars devant la standing ovation du Parlement européen, concluant par un poing levé iconique.
Instantanément "mémifié", transformé en "Captain Ukraine" par les as de Photoshop, Zelensky a littéralement fendu l'armure. Pourtant, le président n'est ni un Avenger, ni une mascotte révolutionnaire ou un super-héros qui sauvera le monde des griffes du méga-vilain Poutine : comme de nombreux Ukrainiens, il reste un homme ordinaire plongé au coeur de l'inimaginable. Et il se dresse et s'élève pour préserver la démocratie au sein de son pays. C'est en cela qu'il devrait toutes et tous nous inspirer.