Culture
Et si le tapage autour de "Don't Worry Darling" était (tout simplement) sexiste ?
Publié le 14 septembre 2022 à 09:20
Par Pauline Machado | Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
Difficile d'évoquer le film d'Olivia Wilde "Don't Worry Darling" sans faire le point sur les dramas qui lui collent à la peau. Et si tous ces potins people étaient (aussi) sexistes ?
Et si le tapage autour de "Don't Worry Darling" était (tout simplement) sexiste ?
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Les jours passent et avec, la toile de scandales autour du dernier film d'Olivia Wilde, Don't Worry Darling, s'épaissit. Chaque déclaration, chaque geste des membres du casting est observé au microscope et discuté longuement en ligne. Le crachat supposé de Harry Styles sur les genoux de Chris Pine à la Mostra de Venise, l'apparente ignorance entre Harry et la réalisatrice, jusque-là inséparables, l'absence de "Miss Flo" (l'actrice Florence Pugh), le mail de Shia LaBeouf, les câlins surjoués d'une partie de l'équipe sur le tapis rouge... On se régale.

Sur les réseaux sociaux, les internautes enfoncent le clou en affirmant être plus intéressé·es par un hypothétique documentaire sur les coulisses du long-métrage que sur l'oeuvre en elle-même. Nous, malgré les critiques mitigées au sortir du festival, on a quand même hâte de découvrir ce qui se trame dans cette petite ville du désert américain figée dans les années 50, où tout semble parfaitement dystopique.

Surtout, on se pose une question : et si la raison qui pousse une bonne partie du public à s'échanger les derniers gossips sur le comportement supposément mesquin d'Olivia Wilde, ou les dramas qui semblent avoir défini le projet du début à la fin, n'étaient pas seulement notre soif d'infos people discutable (ou l'insipidité de notre existence) ? Mais plutôt, une bonne vieille ritournelle misogyne ? On s'explique.

Les réalisateurs sont-ils aussi décriés pour leurs "tournages compliqués" ?
© Youtube

D'accord, à en lire les témoignages de sources ici et là, l'ambiance n'avait pas l'air tout à fait au beau fixe sur le plateau de tournage. Voire tout l'inverse. La vidéo d'Olivia Wilde qui tente de retenir Shia LaBeouf de quitter l'aventure en atteste, contredisant par la même occasion la version de la cinéaste qui affirmait l'avoir viré pour créer des conditions "plus sûres". Pour rappel, Shia LaBeouf a été accusé de violences conjugales par la chanteuse britannique FKA Twigs, en 2021.

"J'ai l'impression que je ne suis pas encore prête à abandonner, et moi aussi j'ai le coeur brisé et je veux trouver une solution", dit-elle dans la séquence visionnée par Variety, envoyée par l'acteur pour confirmer qu'il serait, en réalité, parti de son propre chef.

"Tu sais, je pense que cela pourrait faire un peu office d'électrochoc pour Miss Flo (Florence Pugh, ndlr), et je veux savoir si tu es ouvert à l'idée de me donner, de nous donner une chance", poursuit Wilde. "Si elle s'engage vraiment, si elle y met son esprit et son coeur à ce stade et si vous pouvez faire la paix - et je respecte ton point de vue, je respecte le sien - mais si vous pouvez le faire, qu'en penses-tu ? Y a-t-il de l'espoir ?"

A ce couac se serait ajouté un favoritisme évident pour Harry Styles, son nouveau compagnon qui a remplacé LaBeouf au débotté. Et l'atmosphère du tournage aurait été polluée par cette idylle naissante aurait même déploré "Miss Flo", qui aurait également regretté des vues divergentes sur les thématiques du film.

Ainsi, alors que la réalisatrice encense dans Vanity Fair les scènes de sexe qui font la part belle au plaisir féminin, ignoré depuis toujours à l'écran pour servir un male gaze oppressant, son actrice principale Florence Pugh n'est pas de cet avis. Elle aurait ainsi refusé d'encourager une rhétorique qu'elle estime réductrice auprès du Harper's Bazaar. "Ce n'est tout simplement pas ce dont je vais discuter parce que [ce film est] plus grand et meilleur que ça. Et les gens qui l'ont fait sont plus grands et meilleurs que ça." Ajoutez à cela une rumeur sur la supposée différence de salaire entre Styles et Pugh (à sa défaveur à elle), et il n'en faut pas plus pour constater que très clairement, ça coince.

Oui mais voilà, aussi pénible ait été le tournage, aurait-on fait toute une histoire autour de faits similaires s'ils s'étaient déroulés sur un long-métrage dirigé par un homme ? Personne "ne demanderait à Christopher Nolan, Wes Anderson ou Todd Phillips de parler des dramas sur le plateau", épingle la journaliste Terri White.

Olivia Wilde pâtit-elle de l'injonction à la gentillesse ?
Olivia Wilde à Venise © Abaca

L'ancienne rédactrice en chef du magazine culturel Empire souligne d'ailleurs que tant qu'il n'y a pas de maltraitance physique ou psychologique, les querelles de cinéma, comme les romances extra-conjugales entre deux personnes consentantes, devraient rester à leur place : dans la sphère privée.

"Si je gagnais une livre sterling pour chaque acteur ou réalisateur qui n'arrive pas à se mettre d'accord sur la manière dont il quitte un projet, ou qui se dispute sur le plateau, j'aurais assez d'argent pour payer ma facture d'électricité", plaisante Terri White.

Et pourtant, même en conférence de presse, on demande à Olivia Wilde de s'exprimer sur les "disputes" internes. Quand Christopher Nolan, Wes Anderson ou Todd Phillips sont interrogés "sur leurs influences cinématographiques, sur leur collaboration avec un directeur de la photographie, sur le monde qu'ils ont créé, sur leur art", quand "on leur montre du respect", on parle crêpage de chignon à la première. Et on lui fait aussi payer le fait de ne pas afficher la personnalité aimable, discrète, douce, dénuée d'ego et d'ambition que la société attend - et nous autres plus ou moins consciemment - des femmes.

Qu'on trouve Olivia Wilde sympathique ou non n'est pas le sujet. Chacun·e est libre d'éprouver un certain agacement envers quiconque, dieu merci (et un intérêt apparemment salutaire pour les ragots, aussi). Mais il est important de se demander ce qui nourrit cet agacement.

Olivia Wilde mérite-t-elle le battage médiatique qui l'entoure ? En tire-t-elle réellement un attrait grandissant pour son film, avec profits à la clé, comme elle en est parfois soupçonnée voire accusée (le fameux "bad buzz, good buzz") ? Ou pâtit-elle simplement de l'injonction à la gentillesse qui l'enferme, elle et ses semblables, dans un moule épuisant et - qu'on se le dise - sexiste ?

"Bien que tous les problèmes de relations publiques rencontrés par Don't Worry Darling ne soient pas directement liés au sexisme", analyse à son tour Stephanie Zacharek dans un article pour le Time intitulé If Olivia Wilde Were a Man, "cette mascarade soulève des questions sur la façon dont nous pensons que les femmes doivent se comporter en public." Reste à admettre ces biais, et à les corriger.

Don't Worry Darling, d'Olivia Wilde, en salle le 21 septembre

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