La simple allusion au mot "potin" nous renvoie forcément à Gossip Girl. La série emblématique des années 2010 voyait Blair Waldorf et ses potes abonnées aux MST (mocassins-serre-tête) passer leur temps à comploter sur leurs petits camarades du haut des marches du Met. La cible de leurs viles ragots pouvait parfois changer mais leur envie d'écraser tout ce (et ceux) qui croisait leur route, elle, demeurait intacte. On repense aussi aux gamines du collège qui pratiquaient le potin comme un sport - à défaut d'attraper le ballon en EPS - et ont fait de notre vie un enfer.
Pour la faire courte, parler dans le dos des autres n'a jamais figuré bien haut au classement des bonnes actions. Généralement, preuve en est plus haut, on l'associe d'office aux méchant·es des teen movies américains. Et pourtant, on n'est rarement la dernière à s'adonner à ce plaisir coupable, aussi paradoxal soit notre rapport à la pratique. On n'est jamais ravie d'apprendre qu'on se trouve au coeur des conversations et en même temps, on se délecte de ces paroles murmurées à la hâte quand on n'en fait pas l'objet. La contradiction donne la migraine.
Mais, et on ne l'a pas vu venir, les commérages seraient désormais bons pour la santé. Dans la même veine que manger des pâtes et du fromage ferait vivre plus longtemps, ce péché mignon aurait donc droit à une nouvelle chance aux yeux de l'opinion public ? C'est en tout cas ce que pense un groupe d'expert·es américain·es.
La raison première d'y accorder davantage de crédit : ce petit rituel machiavélique - parfois ô combien réjouissant - serait, finalement, plus positif qu'il n'y paraît. A écouter Kate Murphy, autrice de You're Not Listening: What You're Missing and Why It Matters (tout un programme), il s'agirait presque d'une façon de se protéger du monde cruel qui nous entoure : "Nous le faisons tous parce que les commérages nous permettent de juger qui est digne de confiance, qui nous voulons égaler, jusqu'où on peut aller et qui sont des alliés ou des adversaires probables. De cette façon, écouter les ragots contribue à notre développement en tant que membres éthiques et moraux de la société."
Commérer ne serait donc pas uniquement bénéfique à titre personnel mais quasiment un acte citoyen. Si on voit où l'érudite veut en venir dans la première partie de son analyse, on n'irait pas non plus jusqu'à se qualifier de bonne compatriote parce qu'on a balancé sur l'haleine de Kévin. Elle poursuit : "Des chercheurs néerlandais ont découvert qu'en écoutant les ragots positifs, les gens essayaient de se comporter de la même manière, et que les ragots négatifs les aidaient à se sentir mieux dans leur peau. Une autre étude a montré que plus vous êtes choqué ou bouleversé par les ragots, plus vous avez de chances d'en tirer une leçon." Et donc de devenir une personne exemplaire ? C'est ce qu'elle implique.
Ce qui nous importe quand les rumeurs tournent autour de nos faits et gestes, au-delà de la véracité des propos évoqués, c'est ce que les gens vont en penser. Notre réputation nous tient à coeur, et c'est justement grâce à cet attachement discutable, mais humain, à notre image que les ragots peuvent être utiles. Lors d'une expérience en entreprise racontée par Kate Murphy dans son ouvrage, des scientifiques britanniques et australiens ont réalisé que dans certains milieux où le potin va bon train, les employé·es ont davantage tendance à adopter un comportement irréprochable, afin de ne pas entacher leur réputation. Une sorte de menace pas vraiment silencieuse qui nous ferait nous tenir à carreaux. Ou rattraper nos écarts. Un peu flippant comme procédé, mais apparemment très efficace.
Alors bien sûr, les commérages ne se résument pas toujours à de vives critiques méchantes et gratuites. On peut aussi raconter des histoires sur notre entourage sans propager d'informations fausses, intimes ou compromettantes. Et c'est ce que révèle Robin Dunbar, anthropologue et biologiste britannique de l'évolution, qui estime à 3 ou 4 % le nombre de ragots malintentionnés. "La plupart du temps, il s'agit de discuter de certaines difficultés entre vous et une autre personne, mais aussi de ce qui se passe au sein de votre communauté et du statut de ceux qui figurent dans le réseau - qui s'est brouillé avec qui", assure-t-il auprès de l'autrice.
D'après l'expert, par ailleurs auteur de l'ouvrage Grooming, Gossip and the Evolution of Language, l'origine du potin vient des singes - plus précisément de leur rituel de dépouillage. C'est de cette façon qu'ils créaient du lien social. Les humains auraient par la suite fait évoluer la technique d'approche en la remplaçant par un procédé moins intrusif : le langage, et en l'occurrence le commérage. Un espèce de small-talk moins ennuyeuse et plus divertissante que quelques phrases sur la météo, et qui mériterait peut-être, lui aussi, une meilleure réputation.