Un article du New York Times est revenu le 30 juillet sur l'histoire de l'actrice Sand Van Roy qui a suscité peu de réactions en France. Le journal américain commence par rappeler l'importance du réalisateur français dans l'industrie du cinéma, qui dirige également la société de production EuropaCorp : "M. Besson, 59 ans, est la première personnalité de l'industrie du film en France à être mis en cause à l'ère de #MeToo. Et dans ce pays où le septième art occupe une place centrale dans l'identité nationale, c'est une figure aussi importante que l'était Harvey Weinstein pour le cinéma américain."
Le journal rappelle la chronologie des faits en reprenant des éléments de la première enquête de Médiapart dévoilée le 9 juillet et dans laquelle une ancienne directrice de casting raconte avoir elle aussi subi des agressions sexuelles de la part du réalisateur du Cinquième Élément. L'actrice Sand Van Roy, une belgo-néerlandaise de 27 ans, rencontre le cinéaste en 2015 sur le casting de Valérian, où elle obtient un petit rôle. Sur le tournage, elle raconte qu'il commence à lui faire des avances et qu'elle ne le repousse pas, de peur que cela nuise à sa carrière.
Leurs rapports sexuels sont ensuite devenus plus violents, selon la plainte de l'actrice, allant jusqu'à causer des saignements. "Au moins une fois, M. Besson refusa d'utiliser un préservatif, selon le témoignage de Mme Van Roy aux policiers, et à deux reprises il a commencé des relations sexuelles alors qu'elle dormait, s'arrêtant au moment où elle s'est réveillée", raconte le New York Times.
Elle affirme avoir eu peur d'être coupée du film Anna en cours de montage au moment des faits. Plus tôt et alors qu'elle ne répond pas à ses appels, il la relègue dans le générique de Taxi 5 sorti en avril dernier.
On peut également y lire comment lors d'un rendez-vous au Bristol, Luc Besson a pénétré Sand Van Roy avec ses doigts. Elle lui demande alors d'arrêter et il feint de ne rien entendre. Elle explique au New York Times : "Je me suis dit, 'si je pars maintenant, c'est la fin de ma carrière"".
Le lendemain de l'épisode du Bristol, l'actrice affirme avoir ressenti de fortes douleurs comme une "infection urinaire" et avoir été "blessée au sang", après s'être fait frappée dans le dos. C'est à moment-là qu'elle décide d'aller voir la police. Sand Van Roy porte plainte contre le cinéaste à deux reprises : une fois le 18 mai, puis le 6 juillet.
Les journalistes Alissa J. Rubin et Elian Peltier, autrices de l'article du New York Times, jugent fortement et justement la culture française sur cette absence de réactions en France : "D'autres facteurs sont d'ordre culturel. Depuis longtemps, les Français estiment que leur conception de la sexualité est très différente de celle des Américains, perçue comme plus rigide et puritaine dans l'effort d'établir une frontière nette entre des comportements "appropriés" et d'autres "inacceptables".
"Les Français se targuent d'apprécier un art de la séduction et du flirt peu apprécié des Américains. Et la résistance au "politiquement correct" est portée en haute estime non seulement par les intellectuels de droite, mais aussi par une partie de ceux de gauche."
Luc Besson n'a pas souhaité répondre au New York Times, mais s'est exprimé par le biais de son avocat Thierry Marembert qui a déclaré que "le cinéaste qui n'est pas inculpé avait été "extrêmement surpris". "Luc Besson réserve ses déclarations à la police, et il est confiant qu'il pourra prouver son innocence", a ajouté l'avocat. L'enquête sur la plainte de Sand Van Roy est toujours en cours.
Le New York Times conclue son enquête en évoquant "un mur de silence au sein du cinéma français. "Aucune figure importante ne lui a apporté son soutien, aucune a été accusée de comportements inappropriés", soulignent les journalistes.
La voix que l'on a le plus entendue pour l'instant dans le cinéma français, ou du moins celle qui a suscité le plus de vagues depuis #MeToo, est celle de Catherine Deneuve, et pas pour défendre les victimes. Dans une récente interview parue dans Harper's Bazaar citée par le New York Times, l'actrice française est revenue sur la tribune parue dans Le Monde en janvier, et dans laquelle elle défendait la "liberté d'importuner" : "le désir est au coeur de nombreuses professions créatives comme le cinéma, la musique et la photographie de mode; la difficulté est d'en connaître les limites et de comprendre la différence entre le flirt et le fait d'aller trop loin".
Aux réactions plus que frileuses dans le paysage cinématographique français, on peut ajouter la réception de Roman Polanski pour parler lui-même de ses films, et le flop relatif des Césars quant aux actions fortes face au harcèlement et aux violences sexistes et sexuelles dans le cinéma. Notons également la formidable punchline d'une actrice aussi emblématique du cinéma français que Brigitte Bardot, qui a qualifié les actrices d'"allumeuses".