"S'il vous plaît, aidez-moi, les talibans arrivent chez moi, mes soeurs sont à la maison."
C'est une vidéo terrifiante qu'a postée l'activiste Tamana Zaryabi Paryani sur les réseaux sociaux. Elle venait d'aller manifester le 19 janvier dernier aux côtés d'une vingtaine d'autres femmes contre la politique brutale imposée par les fondamentalistes islamistes qui ont repris le contrôle du pays en août 2021. Parmi leurs revendications ? Le droit de travailler et le droit à l'éducation. Pour ces Afghanes, impossible de vivre dans ce régime de terreur qui cherche à museler et à effacer tous les droits acquis par les femmes ces 20 dernières années.
Sur place, les talibans ont répliqué en les aspergeant de gaz au poivre et certaines auraient même reçu des chocs électriques, relaie la BBC. Alors qu'elles retournaient chez elles, certaines de ces courageuses opposantes ont été suivies. Vers 20h, des hommes auraient fait irruption dans l'appartement de Tamana Paryani à Kaboul. Alors qu'elle se trouvait avec ses soeurs chez elle, elle a entendu frapper à sa porte.
"Nous ne voulons pas de vous ici maintenant", alerte-t-elle dans la vidéo. "Revenez demain, nous pourrons parler demain. Vous ne pouvez pas voir ces filles à cette heure de la nuit. Au secours, les talibans sont venus chez moi."
Terrées depuis le retour des talibans, les femmes se cachent par crainte des représailles. Mais même leur foyer ne constituerait plus un refuge. "C'est une violation de la culture afghane d'entrer dans une maison où se trouvent uniquement des femmes", note la BBC. "Mais ayant licencié des femmes policières, les talibans n'ont pas de personnel féminin disponible pour interroger les femmes."
Tamana Paryani a disparu sans laisser de trace depuis cette vidéo. Son appartement est vide, juste "une grande empreinte de botte boueuse encore visible sur la porte d'entrée", décrit le journaliste de la BBC qui est parti à sa recherche. Selon ses voisins, elle et ses soeurs auraient bel et bien été enlevées par un groupe armé.
L'une de ses amies confie : "Je lui ai dit qu'elle devait quitter sa maison dès que possible, qu'elle était en danger. Quand je suis rentrée à la maison, une amie, également manifestante pleurait : Tamana avait été arrêtée par les talibans et elle avait publié une vidéo sur les réseaux sociaux."
Tamana Paryani n'est pas la seule à avoir disparu : d'autres manifestantes, comme Parawana Ibrahimkhel, manquent également à l'appel. Mais les talibans démentent les avoir enlevées. Ainsi, le porte-parole de la police à Kaboul, le général Mobin Khan, a accusé la vidéo de Tamana Paryani d'être un "drame fabriqué", comme le rapporte l'Associated Press.
Un porte-parole des services de renseignement talibans, Khalid Hamraz, n'a ni confirmé ni infirmé l'arrestation, tweetant cependant que "l'insulte aux valeurs religieuses et nationales du peuple afghan n'était plus tolérée". Une référence directe à la manifestation des activistes pour les droits des femmes qui auraient brûlé une burqa, ce voile intégral que les fondamentalistes avaient imposé aux Afghanes lors de leur précédent règne entre 1996 et 2001, symbole de leur oppression.
De son côté, la mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan a tweeté : "L'ONU partage des préoccupations croissantes concernant la disparition de deux militantes afghanes, Tamana Zaryabi Paryani et Parawana Ibrahimkhel, qui auraient été enlevées à leur domicile dans la nuit de mercredi. Nous exhortons les talibans à fournir des informations sur leur sort et à protéger les droits de tous les Afghans."
Au-delà de la répression que connaissent les femmes afghanes, le pays s'enfonce dans une grave crise humanitaire. La population est affamée, les aides de la communauté internationale ayant été gelées depuis l'entrée au pouvoir des talibans et le retrait des troupes américaines en août 2021. Alors qu'Occidentaux et représentants talibans se sont réunis à Oslo ce 24 janvier pour chercher des issues à cette crise, la poétesse afghane Hoda Khamosh a interpellé le ministre afghan des Affaires étrangères, Amir Khan Muttaqi, sur la disparition des activistes.
"Pourquoi les talibans qui nous emprisonnent à Kaboul sont-ils assis à la table des négociations avec nous à Oslo ? Que fait la communauté internationale face à cette torture et cette répression ?", a dénoncé l'artiste, enjoignant le ministre de "décrocher son téléphone" pour réclamer expressément la libération de Tamana Zaryabi Paryani et de ses amies. Un appel vain ?