"Il est vraiment temps d'arrêter avec ce préjugé misogyne qui voudrait que les hommes en colère soient puissants, et les femmes en colère timbrées !". Pour une fois, ce n'est pas au Sénat (ni face à Mark Zuckerberg) que la députée démocrate (et badass) Alexandria Ocasio-Cortez s'est livrée à un bel exercice de rhétorique, mais sur Twitter. Jamais à court de punchlines bien senties, la politicienne a réagit aux commentaires virulents de Jennifer Rubin, une chroniqueuse du Washington Post. La journaliste s'était effectivement permise de fustiger l'attitude de la candidate à la présidence Elizabeth Warren, qu'elle accuse d'avoir été "trop colérique" lors du débat de la primaire démocrate qui l'a opposée à Michael Bloomberg.
Une politicienne avec de la répartie, forcément "colérique" ? Pour "AOC", c'est un cliché bien sexiste que voilà. Car la colère des femmes dérange et effraie, surtout lorsqu'elle émane de la sphère politique - alors que, chez les leaders, elle serait forcément signe d'assurance. Ce préjugé de genre, Alexandria Ocasio-Cortez, l'épingle à l'adresse de ses six millions de followers : "C'est une telle absurdité !" Vous DEVRIEZ plutôt être en colère contre l'abus de pouvoir".
Pour la politicienne, la vraie question est avant tout "de savoir comment canaliser cette énergie [qu'est la colère] pour en faire un changement positif, synonyme de justice". Une réflexion forte et progressiste.
"Elizabeth Warren n'est ni 'méchante' ni en colère. Elle est simplement efficace. Et en passant, nous avons le droit d'être en colère", poursuit avec éloquence la députée et principal soutien de Bernie Sanders. Il faut dire que pour Alexandria Ocasio-Cortez, la colère n'est pas un saut d'humeur ou une option. Non, c'est une évidence, un combat politique à part entière, qui doit s'exprimer "contre le harcèlement sexuel, ou contre les grandes banques qui commettent des fraudes contre des parents isolés", poursuit-elle.
La colère est, dixit l'oratrice, une source perpétuelle d'engagement, un éveil des consciences. "Et contre l'injustice, elle est tout à fait appropriée", ajoute-t-elle sur Twitter.
Des assertions auxquelles la journaliste Jennifer Rubin répond par l'affirmative, mais avec nuance : "ABSOLUMENT, mais [la colère ne doit pas être déversée] contre tout le monde, tout le temps", affirme la chroniqueuse du Washington Post. Une opinion quelque peu déstabilisée par les mots de l'autrice et consultante politique Naomi Wolf. Celle-ci pose la question qui fâche : "Si un leader ou une leadeuse n'est pas 'en colère' contre le racisme ou le sexisme, alors pourquoi devrions-nous l'élire ?". Et toc.
Et si l'on cessait de fustiger la colère féminine, ce grand atout empouvoirant ? Et si l'on cherchait vraiment à comprendre ses vertus militantes ? "La colère est une affirmation des droits et de la valeur de la personne qui l'éprouve. Elle est communication, égalité et connaissance. La colère est liberté, indépendance, extraversion et revendication de soi-même. Elle est justice, passion, lucidité et motivation. Qu'on le veuille ou non, dans la colère, il y a toujours un fond de vérité", s'enthousiasmait à ce titre la féministe Soraya Chemaly dans son passionnant essai Le pouvoir de la colère des femmes. Un livre de chevet d'Alexandria Ocasio-Cortez ?