Mieux vaut ne pas chercher des poux à Alexandria Ocasio-Cortez. Le Républicain Ron DeSantis en a fait l'amère expérience. Celui qui représente le sixième district de l'Etat de Floride, avait eu cette formule malheureuse : "Regardez cette nana, Ocasio-Cortez ou peu importe ce qu'elle est, elle vit dans un univers totalement parallèle. C'est tout simplement du socialisme mixé à de l'ignorance."
La réplique cinglante de l'intéressée n'a pas tardé à fuser sur Twitter : "DeSantis, il semblerait que vous ayez des problèmes à comprendre qui je suis. Je suis une femme portoricaine. Étrange que vous ne sachiez pas ce que c'est, étant donné que 75 000 Portoricains se sont réinstallés en Floride depuis l'ouragan Katrina. Je suis sûre que les nouveaux votants de Floride apprécieront vos commentaires !"
Franc-parler, parcours atypique, femme de terrain et militante 2.0, Alexandria Ocasio-Cortez est la nouvelle pépite du parti démocrate. En juin dernier, cette outsider de 28 ans a créé la surprise lors de la primaire pour élire le représentant du 14e district de New York. Elle a battu l'un des caciques du parti, Joseph Crowley, 56 ans, en place depuis... 19 ans. Le score est sans appel : 57.5% contre 42,5 %. "Les femmes comme moi ne sont pas censées se présenter à des élections", expliquait la jeune latino-américaine lors de sa campagne. Mais Alexandria Ocasio-Cortez ne s'est pas seulement présentée : elle a gagné, devenant ainsi l'une des mascottes des médias, friands de success-stories.
Même le très chic magazine Vogue le prédit : cette novice en politique pourrait devenir "le futur du parti démocrate." Un parti dont la base se lasse de l'establishment mou et commence à faire émerger de nouvelles têtes, une jeune garde progressiste galvanisée par les dégâts causés par la politique de Donald Trump.
"Il y a une révolte et une révolution des 'enfants' de Bernie Sanders. S'ils sont dans le bon Etat, dans le bon district, ils séduisent un électorat qui se reconnaît dans ces nouveaux candidats, plus jeunes, plus divers, moins riches pour pas mal d'entre eux. Le parti démocrate ne va pas bien depuis la défaite d'Hillary Clinton : il y a une division entre les héritiers directs de Clinton-Obama et une plus jeune garde qui s'était reconnue dans Sanders", analyse la politologue Nicole Bacharan, co-autrice du livre First ladies, à la conquête de la Maison Blanche. "Cela correspond à l'anti-Trump, à une réaction au mouvement #MeToo, à la défaite d'Hillary et de Sanders. C'est aussi une révolte contre la politique à l'ancienne et contre le rôle de l'argent politique car Ocasio-Cortez a été financée par de tout petits donateurs."
Pourtant, rien ne prédestinait Alexandria Ocasio-Cortez, issue de la working class, à devenir la nouvelle terreur des Républicains. Cette jeune pousse a grandi dans le terreau bétonné du Bronx, banlieue de New York. Alexandria se fait déjà remarquer au sein de son lycée à Yorktown où elle gagne le deuxième prix du Intel International Science and Engineering Fair, grâce à un projet de recherche en microbiologie. Résultat : l'International Astronomical Union a aujourd'hui donné son nom à une petite astéroïde : 23238 Ocasio-Cortez. Classe.
Après des études en économie et relations internationales à l'université de Boston, elle retourne dans le Bronx où elle déniche un travail d'éducatrice. Parallèlement, elle travaille auprès du sénateur Ted Kennedy. Après la mort de son père, un petit entrepreneur, Alexandra travaille 18 heures par jour pour aider sa mère femme de ménage. Fin 2017 encore, elle servait des pintes dans un bar local. La galère des fins de mois, les petits jobs pour rembourser ses emprunts, elle a connu. C'est ce qui fait sa valeur ajoutée face aux pontes de la politique et elle le sait, le fait valoir, le revendique.
"Ma mère nettoyait des maisons et conduisait des bus scolaires et lorsque ma famille était menacée d'une procédure de saisie, j'ai dû commencer un job de serveuse et de barmaid. Je comprends la souffrance de la classe ouvrière américaine car je l'ai expérimentée", confie-t-elle à MSNBC.
Parmi les chevaux de bataille de la jeune socialiste proche du sénateur Bernie Sanders : une garantie emploi fédérale, l'assurance maladie pour tous, l'abolition de la police américaine aux frontières (ICE) ou encore la gratuité des universités publiques. Et elle ne manque pas de labourer le terrain (et de le valoriser sur les réseaux sociaux- où elle est très active) pour marquer son opposition face à la politique rétrograde de l'actuel locataire de la Maison Blanche. Ainsi, on a pu la voir agrippée aux barbelés des camps de détention d'enfants migrants mis en place en juin dernier par l'administration Trump.
S'il s'est réjoui de la défaite de son adversaire Joseph Crowley ("Un homme débraillé baptisé Joe Crowley s'est fait botter les fesses par une jeune femme pleine d'énergie"), le président des Etats-Unis devrait se méfier de cette relève inédite et particulièrement virulente. Car les mid-terms (l'équivalent des élections législatives) approchent à grands pas et pourraient constituer un tournant majeur dans le mandat présidentiel.
"S'il y a une majorité démocrate au Congrès, l'opposition au Congrès sera très dure pour Trump, notamment sur le budget et les enquêtes judiciaires", souligne Nicole Bacharan. "Les démocrates seront très agressifs. La zone de turbulence que nous traversons pourra devenir encore plus perturbée et ce sera l'avenir de la démocratie américaine qui se jouera. La procédure d'impeachment est en haut de l'agenda démocrate. Si on a des élus démocrates, agressifs, féministes, pro-minorités, l'opposition à Trump sera radicale."
En effet, en cas de victoire lors de ces élections de mi-mandat en novembre, l'outsider bagarreuse Ocasio-Cortez ou encore la jeune Ayanna Pressley à Boston, devraient donner du fil à retordre au clown sexiste de la Maison Blanche. "Ocasio-Cortez est ambitieuse et elle incarne quelque chose de très fort dans l'Amérique d'aujourd'hui. Autant Trump incarne un désir de retourner aux années 50, à une Amérique blanche, patriarcale, chrétienne, autant elle incarne l'avenir, quoi qu'en disent les plus conservateurs. Elle me semble promise à un bel avenir. Elle a de vraies chances d'être élue."
Alexandria Ocasio-Cortez pourrait ainsi devenir la plus jeune élue du Congrès de l'Histoire des Etats-Unis.