En Allemagne non plus, on ne veut plus que le "masculin l'emporte sur le féminin". Ni que celui-ci soit utilisé pour parler des deux genres. Comme en France, et de surcroît dans les textes officiels, c'est pourtant la forme masculine qui est utilisée de manière générique pour désigner les hommes et les femmes. Une règle que le ministère fédéral allemand de la Justice, dirigé par la sociale-démocrate Christine Lambrecht, a souhaité contredire.
Dans un projet de loi consacré au redressement judiciaire et à l'insolvabilité, notamment destiné à éviter la faillite de nombreuses entreprises qui se trouvent dans une impasse financière à cause de la pandémie, la ministre a remplacé plusieurs termes. Si on traduit littéralement, "directeur" est ainsi devenu "directrice", "employé" devenu "employée" et "débitrice" et "consommatrice" ont été choisis plutôt que leur forme masculine. Une initiative qui a suscité la colère des partis les plus conservateurs, le CDU d'Angela Merkel inclus.
"Le masculin générique, c'est-à-dire l'utilisation de la forme masculine du langage, est reconnu pour les personnes des deux sexes". Le féminin générique n'est quant à lui "pas à ce jour admis sur le plan linguistique pour être utilisé par les personnes de sexe féminin et masculin", lance un porte-parole du ministère de l'Intérieur, actuellement occupé par Horst Seehofer, à l'AFP.
Le conservateur bavarois et membre de l'Union chrétienne-sociale (CSU) a demandé à ce que le texte soit révisé puisque, toujours selon le même porte-parole, il "pourrait s'appliquer uniquement aux femmes... et serait donc très probablement inconstitutionnel". Requête acceptée par le ministère de la justice, qui a annoncé le revoir avant sa présentation au Conseil des ministres, précisant que son élaboration n'était "pas encore achevée".
Pour le secrétaire général du Conseil économique du parti chrétien-démocrate (le CDU de la chancelière), Wolfgang Steigerhère, il s'agit simplement d'une "astuce", s'agace-t-il, pressant Christine Lambrecht, de "choisir n'importe quelle autre loi" pour cet exercice. "Le temps d'une réforme de la loi sur l'insolvabilité s'écoule mais le ministère fédéral de la Justice ne la prend pas au sérieux", estime-t-il.
Des propos soutenus par l'Association de la langue allemande (l'Académie française locale), qui assure qu'"utiliser cette formulation trompeuse invite carrément à contester une loi", et l'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD), qui compare la féminisation des termes à un "comportement provocateur d'un enfant, ce qui n'est pas digne d'une ministre".
Certain·e·s politiques y voient cependant une polémique utile, car elle mène à une discussion essentielle. "Je pense qu'il est bon que nous débattions maintenant d'un langage égalitaire dans les textes juridiques et que le bal soit lancé", déclare en ce sens Katja Mast, des sociaux-démocrates (SPD), le parti de la ministre de la Justice, Christine Lambrecht, au micro de la radio publique ARD.
Bal qui anime les deux camps, celui partisan d'une écriture plus inclusive et celui qui défend une grammaire traditionnelle (et sexiste), depuis de nombreuses années. En 2014, la linguiste Luise Pusch lâchait au Guardian : "La langue doit être confortable et juste. En ce moment, l'allemand est une langue très confortable, mais très injuste". Une analyse qui se traduit aussi très bien de ce côté du Rhin.