Pendant longtemps, j'ai eu l'impression que ma vie solo était une sorte de course effrénée à l'âme soeur. Un gros bordel (parfois joyeux, parfois clairement déprimant) pendant lequel j'étais encouragée à profiter un max, et en même temps, à ne pas non plus perdre le but ultime de vue : celui de "se poser", enfin.
Bizarre, comme terme, quand on y réfléchit. En anglais, la traduction est tout aussi synonyme de fin du fun. "Settle down". Se stabiliser, s'installer. Calmer ses ardeurs, en résumé. Devenir quelqu'un de respectable, presque, en opposition avec la figure incontrôlable qu'on devait incarner, nous et nos pair·e·s, avant de se mettre en couple. Frissons.
Je ne sais pas si c'est à cause des moult comédies romantiques qui dépeignent quasi uniquement les histoires d'amour avant qu'elles se concrétisent réellement (on voit rarement le quotidien post-déclaration en haut de l'Empire State Building, on imagine donc que tout s'arrête ensuite au profit d'une relation saine et équilibrée), mais le constat est réel : dans mon esprit aussi, quand les célibataires se maquent, elles se "posent".
J'imaginais très distinctement que, quand j'aurais enfin mis la main sur "le bon", quelle que soit la définition exacte de l'expression qu'on nous inculque dès le plus jeune âge à base de prince charmant et de baiser salvateur, il y aurait un avant et un après. Que d'un coup, tout changerait. Que je serais "arrivée", en quelque sorte. Figée et apaisée.
J'ai depuis ouvert les yeux sur cette dramatique supercherie, et surtout sur ce que le verbe implique. Pour les un·e·s comme pour les autres.
Je me suis interrogée : au fond, ça veut dire quoi exactement, "se poser" ? Pourquoi le terme est-il attribué à celles et ceux qui décident de faire un bout de chemin à deux ? En quoi les célibataires auraient-elles besoin d'être "installée", "rangée" - ou de quelqu'un d'autre pour le faire si elles en ont envie - et pourquoi le couple est-il forcément associé à quelque chose de moins excitant, bouillonnant, aventureux que ce qu'on vit avant ?
Dans un article pour Refinery29, une journaliste évoque la culture de l'accomplissement que la société a transposé aux relations. On entend d'ailleurs "j'ai remporté le gros lot" quand on rencontre une personne qui correspond à nos attentes, aussi bien physiques que mentales.
Se mettre en couple serait donc devenu une sorte de "diplôme" qui nous permettrait de passer à un autre niveau du grand jeu de la vie, estime-t-elle. Après la rencontre vient le mariage, les enfants, et avec eux une nouvelle tripotée d'accomplissements qui nous comblent (au propre comme au figuré) jusqu'à la fin des temps.
"Se poser" reviendrait ainsi à "rentrer dans le rang", pour enfin accéder à ces étapes sociétalement validées. A l'opposé, les femmes qui ne construisent pas à deux, qui ne sont pas "posées", ne pourraient pas gravir ces petits échelons apparemment si convoités.
Un peu comme si, sans partenaire, on n'était pas complète, on n'avait pas "fini". Sous-entendu "fini" d'expérimenter ce qui précéderait la vie d'adulte, puisqu'être adulte signifierait respecter certains codes traditionnels, et semblerait incompatible avec un quotidien de célibataire. "Dramatique supercherie", je disais donc.
Rappelons-le histoire que ça rentre : le célibat est parfois un choix épanouissant, parfois une phase que l'on subit douloureusement. Et parfois un état sur lequel on ne projette pas grand-chose, et qui ne résume en rien notre identité. C'est juste un fait. Mais dans aucun cas, il ne mérite d'être jugé, ni murmuré au cours d'un repas de famille avec une gêne palpable dans l'assemblée. "Et Pauline, elle s'est rangée ?" *ouf de soulagement quasi audible une fois l'affirmative formulée*
Surtout, il n'y a pas de barrière invisible qui sépare les couples des personnes seules, pour approuver les un·e·s et réprimander les autres. Aussi bienveillant soit le souci que se font nos proches pour savoir si oui ou non, on a trouvé quelqu'un, leur inquiétude quasi automatique face à notre néant sentimental fait mal. Et traduit une pression sociale rétrograde et à côté de la plaque.
En creusant un peu du côté du champ lexical de "se poser", je trouve le mot "se calmer". Devenir "calme". Et ses antonymes : "enragé", "affolé", "anxiété", "éperdu". Ça en dit long sur l'image collective qu'on a de la single life. Et l'ennui absolu qu'on accole au couple.
En gros, si on est solo, on est forcément une folle qui ne sait pas ce qu'elle veut - voire qui ne sait pas se tenir. Et si on est en couple, c'est qu'on a dit au revoir à toute cette partie festive et insouciante de notre vie. Ambiance. Et issue peu reluisante, des deux côtés.
Ce qu'il faudrait plutôt se souhaiter, au lieu de "se poser", c'est de vivre comme on le souhaite. En trouvant le sacro-saint "gros lot", a.k.a le désormais père de mon enfant, j'ai réalisé que j'étais loin d'être arrivée. La relation n'est pas toujours la fin de quelque chose, mais forcément le début d'autre chose. D'un nouveau parcours à deux qui ne vaut pas mieux qu'une vie seule, mais qui emprunte juste des chemins différents.
On n'a pas à oublier miraculeusement nos galères et nos joies de célibataires non plus, ni à regarder son passé avec dédain, toisant son soi de l'époque en étiquetant nos années pré-couple de perdition honteuse. Ce sont juste des parties différentes de nos vies, qui nous ont plus ou moins satisfaites.
On peut être plus heureuse en couple, et tant mieux, ou non, et ce n'est pas grave. On peut être plus heureuse célibataire, et tant mieux, ou non, et ce n'est pas grave. L'important reste de savoir que rien ne nous définit si on ne veut pas l'être, aussi oppressante la société puisse-t-elle paraître. Et puis de marteler sans retenue que, non, solo ou duo, on ne se "posera" pas.