Aujourd'hui encore, les cheveux crépus peuvent susciter les préjugés les plus méprisants. On les dit "sales" et négligés, tout sauf "professionnels". Mais sur Instagram, la résistance se fait entendre. De nombreux comptes aux milliers de followers offrent enfin à ces tifs trop maltraités la visibilité qu'ils méritent. Et au fil des réhabilitations numériques, on croise aussi bien des citations inspirantes que des astuces-beauté emplies de bienveillance.
Et après vous avoir fait découvrir les publications lifestyle de Maëlle (la créatrice du compte Holy Kurls), qui correspondent tout à fait à ce combo magique, nous vous invitons aujourd'hui à explorer celles de Delphine, l'instigatrice de Nos Cheveux Extraordinaires. Sur sa page, la jeune femme métisse célèbre une capillarité libérée et fière, à grands coups de tutos judicieux et de posts sororaux. C'est le soin du cheveu qui prime. Et aussi une forme de militantisme salutaire, traversant ce "moodboard dédié aux cheveux extraordinaires" où résonnent bien souvent les mots de Toni Morrison, de Nelson Mandela et de Michelle Obama.
Sa créatrice nous dit tout sur cette initiative déjà saluée par les fans.
Delphine : Je me suis lancée sur Instagram il y a presque un an - en février 2019 - avec pour objectif d'échanger quotidiennement avec ma communauté, autour des thématiques des cheveux crépus, des beautés noires et métissées. Et ce en essayant de valoriser les produits et la culture issus d'Afrique, mais aussi l'oeuvre d'auteur(e)s /artistes issus des minorités.
En parallèle, je travaille aussi sur le lancement de ma marque de produits capillaires. Avec ce compte, je souhaitais en découvrir plus sur les différentes techniques et les produits existants, en échangeant avec des "nappys" de tous horizons (le "nappy" est un mouvement militant et la contraction de "Natural and Happy" : naturel et heureux, ndlr).
D : Je pense, qu'on le veuille ou non, qu'il y a un vrai militantisme dans le fait de revendiquer le port des cheveux naturels, car il reste encore beaucoup de préjugés et de remarques sur ce type de cheveux. Et lorsque je me coiffe, j'ai à coeur de pouvoir contredire tous ces préjugés. La coiffure et la beauté ne devraient pas être politiques, mais elles le deviennent malheureusement, et le resteront tant que les normes n'auront pas définitivement changées. Et, notamment, que la formation des coiffeurs ne sera pas au niveau...
D : Avec ce compte, j'aimerais montrer qu'il y a plein d'alternatives à la coupe afro, que des cheveux crépus peuvent être un accessoire de mode si on a envie de jouer avec, mais que, dans tous les cas, ils sont tout à fait compatibles avec la vie professionnelle. Et qu'il faut arrêter de se cacher derrière des tissages et des perruques !
Pour ma part je n'ai jamais reçu de remarquables désobligeantes au sein de la sphère pro. Je pense que cela vient du fait que je pratique un "nouveau métier" (dans le domaine digital). Par contre, je dois avouer que je n'ai jamais passé d'entretien avec les cheveux lâchés. J'ai une coiffure que j'aime beaucoup et avec laquelle je suis très à l'aise (et qui me vieillit un peu !). En revanche, une fois en poste, je ne me bride jamais pour relâcher mes cheveux !
D : Je reçois surtout des questions sur les produits et techniques d'application capillaires, mais il m'est tout de même arrivée de recevoir des messages de jeunes filles, qui m'ont dit qu'elles n'osaient pas porter telle ou telle coupe de cheveux au travail. A la Natural Hair Academy de 2019 (un salon franco-américain célébrant depuis plusieurs années déjà les cheveux afros, naturels et crépus, ndrl), plusieurs femmes témoignaient aussi de ce genre de situations. De mon côté, dès qu'il y a des témoignages de discriminations observées dans les écoles ou au travail, relayées sur les réseaux sociaux ou les médias, je les partage immédiatement sur ma plateforme, et les condamne systématiquement. Mon compte est un canal de diffusion supplémentaire.
D : Je pense que les femmes sont plus souvent jugées que les hommes, car la société est toujours plus exigeante à l'égard d'une femme. Le moindre changement de coiffure au travail peut être commenté des semaines entières ! Un homme changera peut être plus rarement de coupe. Et puis, il sera aussi amené à porter ses cheveux courts, afin d'échapper à toute discussion.
J'observe qu'il y a aussi beaucoup de débats entre les femmes "nappy", qui partagent une crainte : celle de ne plus plaire à leur partenaire masculin, et d'avoir à le convaincre que cette coupe leur va quand même. Même si les partenaires en question sont des hommes noirs. Mais pour moi, la revalorisation du cheveux crépu doit être globale, elle concerne autant les hommes que les femmes.
D : Instagram facilite le partage de techniques capillaires, de nouvelles idées, produits cosmétiques et coupes de cheveux. Et les cheveux crépus peuvent être valorisés de bien des façons sur le site : sous la forme de photos présentant un look, de vidéos tutoriels (avec l'application IGTV) ou même de tests spontanés (en stories)...
Les mentalités évoluent, mais trop faiblement. Elles sont loin d'avoir changé ! Il suffit de voir le nombre de personnes qui me trouvent "magnifique" avec une perruque, alors qu'il ne s'agit pour moi que d'une coiffure protectrice. Ou de voir l'animatrice Capucine Anav affirmer (dans une story Snapchat) que les cheveux crépus sont "des balais à chiottes". Ou encore, le fait que trop peu de personnalités aux cheveux crépus soient mis en avant dans les médias...
D : Je me souviens d'un magazine de 2019 où les cheveux crépus étaient qualifiés de "tendance". Et je pense que, sans jamais l'avouer, beaucoup de directeurs artistiques et de maquilleurs de ce milieu l'envisagent ainsi aujourd'hui. D'un autre côté, combien de fois, dans des magazines de mode, on parcourt les "tendances" des rubriques "coiffures et nouvelles coiffures" pour n'y retrouver que des coupes lisses et des franges ?
Désormais, l'industrie de la mode essaye de privilégier de nouveaux profils et mettent davantage en avant une certaine diversité à travers leurs campagnes. Cependant, trop peu encore choisissent une égérie noire pour promouvoir toute une gamme. Lancôme l'a fait par exemple [dès 2014, en choisissant la comédienne Lupita Nyong'o (Black Panther, Us) comme égérie, ndrl], mais on attend toujours la suite ! C'est pour cela que les comptes Instagram et leurs tips comblent un vide. Ils influencent autrement notre perception de la beauté. A force de voir et de proposer d'autres styles et possibilités, je suis convaincue que les standards de beauté vont changer.
D : Porter ses cheveux avec fierté, plutôt que de s'échiner à la dénaturer avec des lissages qui les abîment !
D : Oh oui ! Je recommande @theprettyusmu (plutôt orienté makeup), @holykurls (pour des tutos-coiffure) ou encore @syanalaniyan (spécialisée dans la mode). Mais il y en a plein d'autres !