De nombreux préjugés pèsent sur les cheveux crépus. Dénigrés, célébrés, cibles des racistes, ils ont une histoire propre que la journaliste Aurélie Louchart a voulu raconter dans son livre Trop crépues ?.
L'autrice est blanche, elle a les cheveux lisses et courts. Mais comme elle l'écrit : "Faut-il être breton pour parler des crêpes ?". Elle s'est penchée depuis plusieurs années déjà sur la sociologie des cheveux crépus et l'histoire complexe qui les entoure. Et sur cette histoire trop méconnue, tantôt oppressante ou libératrice, discriminante ou créative.
Notamment pour tenter de contourner ces discriminations, les femmes noires se lissent les cheveux malgré les dangers que cela représente, avec un produit dont le composant principal, la soude, est aussi utilisé pour déboucher les canalisations. "On a dit pendant quatre cents ans aux Afro-descendantes qu'elles étaient laides" explique Aurélie Louchart.
Comme le précise Marie da Silva, coach pour personnes racisées, dans le dernier podcast Kiff ta race à propos des personnes blanches : "Ils ne savent rien de nous parce que savoir quelque chose de nous n'affecte pas leur survie, n'affecte pas leur statut".
Alors en savoir plus en tant que personne blanche sur les cheveux crépus est absolument nécessaire. Mais comme l'autrice nous l'explique, ce livre n'est pas exclusivement destiné aux Afro-descendant.es. En savoir plus en tant que personne blanche sur les cheveux crépus est absolument nécessaire.
De la naissance des discriminations et du racisme qui entourent les cheveux crépus à la naissance du mouvement nappy, un livre ne pourrait être plus complet sur la question. Aurélie Louchart y cite de très nombreux exemples et auteurs et autrices noir·es sur le sujet, donnant également la parole aux personnes concernées qui y racontent leur vécu personnel.
La compréhension des enjeux racistes derrière les cheveux crépus est indispensable alors que la nouvelle porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, vient de subir un torrent raciste à ce sujet.
Aurélie Louchart : Notre définition du beau ne tombe pas du ciel : elle est forgée socialement, culturellement. C'est un héritage historique. Depuis six-sept ans, avec le "mouvement nappy", les cheveux crépus sont mis en avant dans les médias. Mais avant cela, en Occident, on a dit pendant 400 ans aux Noirs que leurs cheveux étaient laids.
Les recherches en sciences sociales ont démontré qu'une "infériorité" des Noirs avait été construite pour justifier leur oppression durant l'esclavage, puis la colonisation. C'est notamment passé par une dévalorisation des caractéristiques physiques différant de celles du corps blanc, dont les cheveux crépus. C'est pour cela que dans les années 1960, les militants du Black Power ont insisté sur le message "Black is beautiful" et ont promu la coupe afro.
A.L. : Notre définition de ce qu'est une apparence soignée, professionnelle, a été forgée par des classes dominantes blanches. On retrouve les mécanismes racistes évoqués concernant la beauté. De surcroît, en France, on tend à considérer le Blanc comme l'universel, comme "neutre". Les critères de respectabilité ont donc été basés exclusivement sur un corps blanc.
Cela rend, en creux, tout ce qui n'est pas caucasien "négligé". Les cheveux de Sibeth Ndiaye étaient propres et coiffés le jour de son investiture à l'Elysée. Si certains les considèrent négligés, c'est parce qu'ils ne ressemblent pas à des cheveux caucasiens.
A.L. : La "respectabilité" des personnes non-blanches est constamment inspectée en France. Pour les femmes racialisées, c'est particulièrement fort, puisque cela vient s'ajouter à la pression habituelle que l'on fait peser sur l'apparence des femmes.
Être Noire en France, c'est un peu passer chaque jour une audition : prouver que l'on ne correspond pas aux stéréotypes, qu'on est "respectable". Les femmes qui gardent leurs cheveux naturels refusent de céder à ce chantage.
A.L. : Le défrisage et l'afro étaient des réponses au racisme. Ce n'est pas le cas du "mouvement nappy" – en tous cas, pas au départ. L'éditeur afro-américain Chris Jackson parle d'une nouvelle génération qui n'est ni dans la recherche de validation ou d'inclusion, ni dans l'opposition au mainstream, mais à la recherche de sa propre voie.
Je pense que celles qui gardent leurs cheveux "naturels" s'inscrivent, pour la plupart, là-dedans. Cela vient d'une démarche personnelle, intime - et souvent d'un ras-le-bol d'avoir les cheveux abîmés par le défrisage. Il ne faut pas en déduire que ce mouvement est inoffensif : en ne se réclamant pas du politique, il peut créoliser et infléchir les codes dominants de la beauté en toute discrétion. Lorsque la lutte culturelle n'apparaît pas au grand jour, on peut subvertir plus facilement les codes de l'intérieur.
A.L. : Les écrivains, les chercheurs, les journalistes travaillent et écrivent principalement sur des sujets dont ils ne sont pas directement acteurs. Habituellement, ça ne choque personne. Si j'écris sur un génocide, le congé paternité ou le festival d'Avignon, on ne m'interroge pas sur mon absence de lien intime avec ces sujets. Pourquoi, ici, ce serait différent ?
Faut-il directement être victime de racisme et de sexisme pour trouver que ce sont des problématiques importantes ? Les cheveux des Afro-descendantes cristallisent beaucoup de choses. Comme le montre la polémique autour de la prise de fonction de Sibeth Ndiaye, ils sont révélateurs d'enjeux politiques et sociétaux larges, qui nous concernent tous.
A.L. : Avoir une certaine couleur de peau ou une texture de cheveux ne donne pas automatiquement un doctorat sur les représentations ou l'histoire des personnes qui nous ressemblent... Ce livre s'adresse à quiconque est un peu curieux. Au travers des cheveux crépus, on aborde des questions de respectabilité sociale, de culture populaire, de multiculturalisme, de féminisme, de discrimination, d'identités plurielles, de représentation dans les médias...
Le livre donne des clés de compréhension qui sont utiles pour analyser bien d'autres problématiques sociales. Le "mouvement nappy" est en outre un modèle très intéressant de liberté, de subversion de codes dominants, d'émancipation de normes étriquées et d'acceptation de soi. Ce sont des enjeux qui résonnent chez beaucoup de personnes.
Aurélie Louchart, "Trop crépues ?" Hikari éditions, février 2019, 16,90 € , 208 p.