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Pourquoi Cassie d'"Euphoria" est une nouvelle illustration des méfaits du "male gaze"
Publié le 2 février 2022 à 16:00
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
"Euphoria" se voulait progressiste et audacieuse. Mais la saison 2 de la série de Sam Levinson déçoit notamment dans le traitement du personnage pourtant complexe de Cassie, énième victime du regard masculin.
Bande-annonce de la saison 2 d'Euphoria
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Euphoria serait-elle en train de devenir le nouveau Game of Thrones ? Alors que la diffusion de la saison 2 de la série de Sam Levinson a débarqué sur HBO, la question se pose. Car si cette chronique trash, onirique et flamboyante d'une jeunesse paumée a bousculé le paysage télévisuel en imposant sa patte cinématographique ultra-stylisée et un casting inclusif déjà culte, elle tend aujourd'hui à se recroqueviller vers ces réflexes sexistes que l'on pensait dépassés. Et notamment ce bon vieux "male gaze", théorisé par la critique Laura Mulvey.

Certes, comme Game of Thrones, Euphoria expose frontalement des sexes masculins (on a parfois dénombré 21 pénis dans un même épisode). Suffisant pour faire valoir une certaine parité ? Non. Car à l'instar de l'adaptation de George R. R. Martin, si les corps masculins nus sont ici désexualisés, les corps féminins, eux, se retrouvent chosifiés et le regard masculin s'y déploie de façon pernicieuse. Notamment à travers la figure hypersexualisée de Cassie.

Ce personnage tragique, qui ne vit qu'à travers la validation des hommes pour combler ses plaies narcissiques béantes, est devenu la première victime de ce biais. Présentée comme le réceptacle passif des fantasmes mâles (ses sex-tapes et ses photos leakées, le rêve fiévreux de Nate qui la dépeint en poupée docile), la jeune femme ne cesse d'être objectifiée... à commencer par son créateur, Sam Levinson. Et c'est ici que réside le problème du traitement de ce personnage. Euphoria brosse une galerie sombre d'adolescentes explorant leur sexualité, se découvrant en tant que personnes désirantes et désirables. Plus gênante cependant est la position du spectateur, qui les observe être sexualisées, complice malgré lui de l'oeil vorace de la caméra.

Si Cassie ne se conçoit justement qu'à travers le "male gaze", son arc narratif, loin d'explorer sa psyché brisée (notamment par le départ de son père- background expédié dans l'épisode 7 de la saison 1), sa solitude, ses traumas abandonniques, ne fait qu'effleurer ses fêlures, la caméra se bornant à scruter ses boobs. Encore et encore.

Loin de subvertir et d'interroger, la série perpétue les clichés dominants et se vautre dans les stéréotypes. La voici réduite à ce corps aussi courbe que son personnage est creux.

Cassie dans Euphoria © HBO

Le pire ? L'actrice Sydney Sweeney l'a elle-même confirmé, sans doute en toute candeur (ou pas) : oui, il y a bel et bien un souci dans l'écriture de son personnage puisqu'elle a dû mettre un holà à la surenchère de scènes inutilement dénudées. "Il y a des moments où [mon personnage] Cassie était censée être seins nus et je disais à Sam : 'Je ne pense pas vraiment que ce soit nécessaire ici'", a-t-elle ainsi confié à The Independent. "Il a répondu : 'OK, nous n'en avons pas besoin'". La comédienne de 24 ans allant même jusqu'à préciser ne s'être jamais sentie "poussée" à se dévêtir. "Quand je ne voulais pas le faire, il ne m'a pas forcée."

Et encore heureux, a-t-on envie d'ajouter (Euphoria dispose d'une coordinatrice d'intimité, qui s'assure de la bonne tenue du tournage des scènes intimes).

Cassie en soutien-gorge dans la saison 1 d'Euphoria © HBO
Panoramiques lourdingues et gros plans

Mais pourquoi sommes-nous surpris ? Après tout, le pilote annonçait la couleur. Cassie y était introduite à travers un écran sur lequel se succédaient une kyrielle de nudes reluquée par les footeux du bahut. Une "salope" (selon leur propre terme) slutshamée par une meute toxique. Et déjà réduite à des pixels et des codes porno. Plus tard, son mec de l'époque, McKay, lui reprochera même de "tout ramener au sexe", lui qui voulait "discuter".

Rétrospectivement, voilà qui sonnait comme un avertissement. Cassie serait condamnée à ce rôle qu'on lui a assigné : une énième héroïne blanche, blonde, silenciée, assujettie et fétichisée par l'écriture et le langage cinématographique d'un créateur. A coups de panoramiques lourdingues lorsqu'elle enfile un maillot ou de gros plans complaisants sur son décolleté plongeant ou ses seins nus. Un trope paresseux que l'on pensait relégué aux beauferies pré-#MeToo et ne surtout plus avoir à subir dans cette série postmoderne qui se gargarisait de pulvériser les carcans. Le showrunner Sam Levinson nous le rappelle pourtant régulièrement dans cette saison 2 : il est un homme. Et il n'a visiblement pas achevé sa déconstruction. A quand une femme dans la writer's room au chevet d'Euphoria ?

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