Si en réalité, l'espérance de vie moyenne d'une femme dans le monde est supérieure à celle d'un homme, le cinéma se charge de contrebalancer ce déséquilibre en écourtant dramatiquement le temps de vie des femmes à l'écran : dès qu'elles soufflent leurs trente bougies, les actrices sont reléguées au placard comme des jouets un peu trop usés.
Le jeunisme est un bien vilain défaut, mais Hollywood peine visiblement à s'en passer. Dernier scandale en date : l'actrice Maggie Gyllenhaal s'est vue refuser un rôle parce qu'à 37 ans, elle était "trop vieille" pour jouer la maîtresse d'un homme...de 55 ans. Et c'est loin d'être un cas isolé : 74% des personnes à l'écran de plus de 40 ans sont des hommes, rapporte le Huffington Post. Et c'est pour cette raison que la Californie a fait voter une nouvelle loi autorisant les acteurs à retirer s'ils le souhaitent leurs dates de naissance sur les sites officiels de référence comme IMDb , une base de données qui rassemble toutes les informations sur les célébrités.
La loi, signée par le gouverneur de Californie Jerry Brown le 24 septembre 2016, a été soutenue par l'actrice Gabrielle Carteris, qui a joué dans la série-culte des années 90 Beverly Hills 90210. Elle a confié au Hollywood Reporter que vu les flagrantes discriminations sur l'âge que devaient affronter les actrices, pouvoir accéder en deux clics à leur date de naissance ne faisait que renforcer le jeunisme qui hante les cinémas.
Gabrielle Carteris explique également qu'elle avait 29 ans en 1990 lorsqu'elle a été sélectionnée pour jouer le personnage d'Andrea Zuckerman, qui dans la série Beverly Hills, n'a que 16 ans. Et selon elle, il lui aurait été impossible d'obtenir le rôle -qui au final, lui allait très bien- si le directeur du casting avait su son âge réel avant l'audition. Or, avec Internet, les âges sont si facilement accessibles que "les directeurs de casting ne peuvent quasiment pas éviter de le découvrir", se désole-t-elle. Et très visiblement, cela biaise les jugements. Cette loi pourrait donc rétablir une forme de confidentialité, qui aiderait les actrices qui ne sont plus dans leur vingtaine à tourner malgré leurs supposées "date de péremption".
En effet, les actrices tombent dans un véritable trou noir en 35 et 50 ans : elles sont trop âgées pour continuer à jouer les jeunes premières, et les directeurs de casting ainsi que les producteurs refusent de leur donner des rôles de femmes de leurs âges. C'est comme cela qu'on se retrouve avec des couples à l'écran aux âges plutôt disparates. Pour Fenêtre sur Cour, James Stewart, 46 ans, vit une histoire d'amour avec Grace Kelly alors que cette dernière n'a que 25 ans. Dans Le Loup de Wall Street, c'est Margot Robbie, 22 ans, qui est choisie pour incarner l'épouse de Jordan Belfort, face à Leonardo DiCaprio, 39 ans. Inspiré d'une histoire vraie, le film de Scorsese a sciemment rajeuni la femme du couple puisqu'elle avait le même âge que son partenaire dans la vie. Dans Magic in the Moonlight, c'est Emma Stone, 25 ans, qui joue la prétendante de Colin Firth, 53 ans. Mais ce n'est pas surprenant pour un film de Woody Allen, grand coutumier du jeunisme : dans Annie Hall par exemple, il forme un couple avec une Diane Keaton plus jeune que lui de dix ans. Quant à Tom Cruise, plus il vieillit, plus ses partenaires dans Mission Impossible rajeunissent : il avait 11 ans d'écart avec Thandie Newton dans Mission Impossible II, il en a le double avec Rebecca Ferguson dans le 5ème volume du blockbuster...
Et malheureusement, le sexisme qui imprègne le monde du cinéma va beaucoup plus loin : les actrices sont devenues des denrées jetables, qu'il faut consommer le plus rapidement possible pour les remplacer tout aussi vite. Dakota Johnson, l'actrice de Fifty Shades of Grey, a d'ailleurs confié à Vogue ses inquiétudes face à cette impitoyable tyrannie de la jeunesse.
La fille de Melanie Griffith et petite-fille de Tippi Hendren, la muse d'Alfred Hitchcock dans Les Oiseaux, s'est insurgée : "Pourquoi ma mère ne joue-t-elle pas dans des films ? C'est une actrice extraordinaire. Et pourquoi ma grand-mère non plus ? Cette industrie est brutale ! Peu importe la force que vous avez, on a quand même le sentiment de ne pas être désirée. C'est absurde et criminel." Et pour cause : après avoir tourné avec les plus grands (Woody Allen, Brian de Palma, Adrian Lyne), sa mère, à 58 ans, n'apparaît guère plus à l'écran que dans la série télévisée Hawaii Five-O. Sa déclaration rejoint celle de l'actrice Liv Tyler qui a déclaré au magazine More qu'à 38 ans, elle se sentait "comme une citoyenne de seconde zone" dans l'industrie du cinéma qui ne jure que par les fraîches premières dans la vingtaine.
Elle avait confié à Glamour : "Je ne peux pas me plaindre parce que j'en ai profité, a-t-elle aussi nuancé. Quand j'avais la vingtaine, les rôles auraient pu être écrits pour des femmes ayant la cinquantaine et je les aurais eus. Maintenant j'ai la trentaine et je me dis: 'pourquoi cette fille de 24 ans a eu le rôle? J'ai été cette fille de 24 ans. Je ne peux pas être en colère, les choses sont comme ça."
En théorie, la loi sur les âges des acteurs pourrait donc inciter les directeurs de casting à ne pas préférer des jeunettes aux actrices dans la tranche d'âge du rôle. Mais dans la pratique, son application a de quoi laisser sceptique.
En effet, l'efficacité de cette loi semble compromise. Elle ne s'applique qu'aux sites spécialisés dans la collecte de données personnelles concernant les acteurs comme IMDb et ses pendants, mais elle exclue des sites pourtant beaucoup plus simples d'accès, comme Google ou Wikipédia, où la date et le lieu de naissance de n'importe quelle célébrité sont accessibles en quelques secondes...
De plus, même si cette interdiction de dévoiler les âges des acteurs s'étendait à ces plateformes, Internet est devenu un gigantesque réservoir à informations, et il est rigoureusement impossible de faire disparaître tout ce qui a été publié ou écrit à ce sujet.
Enfin, cette loi pose un problème de fond : elle revient à poser un pansement sur une plaie sans traiter l'hémorragie. S'attaquer aux sites relayant l'âge des acteurs revient à se défouler sur un bouc émissaire. On ne peut lutter contre le jeunisme sans dénoncer le fondement du problème : le système patriarchal qui régit le monde du cinéma et transforme Hollywood en sanctuaire du sexisme où seuls comptent la jeunesse, la beauté et les décolletés généreux. Et vu la relation symbiotique que le cinéma entretient avec la société et la manière dont il influe sur notre manière de penser, il serait grand temps que les choses changent.