En pleine promotion du nouveau James Bond, Daniel Craig a accordé une grosse interview au Red Bulletin, le magazine de la marque Red Bull . L'acteur britannique y parle notamment de la fascination du public pour l'agent 007, de sa blessure survenue sur le tournage, et bien évidemment, des femmes qui partagent l'affiche avec lui. Seulement voilà, lorsque le journaliste évoque Monica Bellucci, il le fait en ces termes : "Pour la première fois, Bond succombe aux charmes d'une femme plus âgée que lui..."
Réponse cinglante de Daniel Craig : "Je pense que vous voulez dire : une femme de son âge. Nous sommes en train de parler de Monica Bellucci nom de Dieu. Quand quelqu'un comme ça accepte de devenir une James Bond girl, tu t'estimes chanceux". En quelques mots seulement, l'acteur anglais vient de démonter un des problèmes majeurs qui ronge Hollywood : son sexisme combiné à son jeunisme. Daniel Craig a 47 ans, Monica Bellucci en a 51. Leur différence d'âge est minuscule, et pourtant, l'arrivée de la star italienne dans la franchise a fait office d'une bombe. Une femme d'"âge mûr" qui ravit le coeur de James Bond, quel choc ! Vous vous rendez compte ? A la star italienne, le réalisateur Sam Mendes aurait même confié : "Pour la première fois de l'Histoire, James Bond va vivre une relation avec une femme d'âge mûr. C'est un concept révolutionnaire".
On pourrait se moquer gentiment du concept révolutionnaire évoqué par Sam Mendes. Sauf que le cinéaste a diablement raison et ça fait froid dans le dos. Quelques faits pour y voir plus clair : en 2013, Kristen Stewart, alors âgée de 23 ans, se retire d'un projet dans lequel elle devait donner la réplique à Ben Affleck parce que ce dernier vient d'être remplacé par Will Smith. Selon Variety , elle évoque alors une trop grosse différence d'âge. Affleck avait déjà 40 ans, mais les 44 ans de Smith semblent représenter une certaine limite à ne pas dépasser. Cette année, c'est une autre histoire bien plus relayée dans les médias qui choque. La superbe et talentueuse Maggie Gyllenhaal avoue lors d'une interview accordée à The Wrap qu'elle a été jugée trop vieille – elle a 37 ans – pour jouer la maîtresse d'un comédien âgé de 55 ans.
Dans une industrie où l'on considère qu'un couple incarné par Colin Firth (53 ans) et Emma Stone (25 ans) est la norme, peut-on vraiment s'étonner du traitement réservé à Maggie Gyllenhaal et toutes les actrices de plus de 35 ans ? Même en tant que spectateurs, c'est comme si nous n'arrivions plus à assimiler ce double standard. Nous regardons les hommes vieillir gracieusement à l'écran, nous apprécions le dad bod de Joaquin Phoenix dans L'homme irrationnel, nous trouvons qu'il prend de l'âge avec une certaine classe. Mais nous ne nous étonnons pas de le voir charmer Emma Stone (encore elle) de 15 ans sa cadette, comme nous n'avions jamais relevé la différence d'âge aberrante entre Julia Roberts (alors âgée de 22 ans) et Richard Gere (alors âgé de 40 ans) dans Pretty Woman. Pendant que ces messieurs grisonnent, leurs costars restent figées dans le temps. Une ride a l'insolence d'apparaître et la sentence tombe : bien sûr tu pourras continuer de travailler, mais tu ne séduiras plus et tu seras remplacée par bien plus jeune que toi.
En 2013, Vulture avait réalisé plusieurs infographies édifiantes (voir quelques images dans le diapo). Se basant sur des grands noms du cinéma US tels que Denzel Washington, Johnny Depp, Tom Cruise, Liam Neeson, Brad Pitt, ou encore Harrison Ford, le site culturel démontrait que plus les acteurs prenaient de l'âge, plus leurs co-stars féminines rajeunissaient. Preuve la plus flagrante - et dérangeante - : la différence d'âge entre Liam Neeson et Olivia Wilde au moment de la sortie du film Puzzle. Alors âgée de 61 ans, la star irlandaise partageait l'affiche avec une Olivia Wilde de 29 ans. Trente-deux ans les séparent sans que le différence d'âge fasse le moins du monde partie de l'histoire...
Remisées au placard passé un certain âge, les actrices américaines doivent en plus composer avec tout un tas d'autres obstacles. Une infographie réalisée par la New York Film Academy et relayée par Jezebel en 2013 démontrait ainsi que les femmes ont moins de temps de parole à l'écran, qu'elles se dénudent plus souvent que leurs partenaires masculins, et quand elles gardent leurs vêtements, elles restent objectivées sexuellement. Le sexisme ne s'arrête pas à ce qui se passe devant la caméra puisque, comme l'ont souvent fait remarquer les personnalités hollywoodiennes, les femmes réalisatrices sont peu nombreuses et peu primées. Enfin, n'oublions pas le sujet qui enflamme les médias depuis quelques temps : l'écart de salaire scandaleux entre les actrices et les acteurs.
Récemment encore, Jennifer Lawrence dénonçait cette inégalité dans une tribune parue dans la newsletter de Lena Dunham . La jeune femme revenait ainsi sur le piratage de Sony en 2014 qui lui avait permis d'apprendre qu'elle avait été beaucoup moins bien payé que ses co-stars masculines dans American Bluff. "C'en est fini d'essayer de trouver la façon 'adorable' de donner mon avis et d'être toujours sympathique ! J'emmerde tout ça. [...] Jeremy Renner, Christian Bale et Bradley Cooper se sont tous battus et ont réussi à négocier des contrats importants. Je suis sûre qu'on leur a dit de ne jamais rien lâcher et d'être stratégiques, pendant que j'essayais d'éviter de passer pour la sale gosse et que je n'obtenais pas ma part du gâteau", révélait-elle alors.
Comme Jennifer Lawrence, les actrices sont de plus en plus nombreuses à dénoncer le sexisme qui ronge l'industrie du cinéma américain (Jessica Chastain, Patricia Arquette, Gillian Anderson pour ne citer qu'elles). En attendant de voir ce double standard disparaître – on ne sait jamais hein – on se consolera avec les paroles de Daniel Craig et ce sketch brillant d'Amy Schumer : Last Fuckable Day (Dernier jour en tant que femme baisable).