L'autrice Elise Thiébaut aime explorer les sujets tabous, les analyser avec acuité et humour. Elle s'est ainsi intéressée aux dessous des règles dans son ouvrage Ceci est mon sang, puis a ausculté les non-dits de l'Histoire de France avec Mes ancêtres les Gauloises. Dans son prochain livre, changement de cap : avec L'Amazone verte (sortie le 9 mars 2021 aux éditions Charleston), elle retrace le parcours fascinant de Françoise d'Eaubonne, la première écoféministe.
Alors qu'elle participera ce 8 mars au cycle de conférences passionnantes "Le féminisme n'a jamais tué personne", organisé par la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou autour de la parole féministe depuis l'affaire Weinstein, Elise Thiébaut revient sur sa trajectoire militante et sur les femmes qui ont marquées sa déconstruction.
Elise Thiébaut : Mon adolescence a été le premier déclic. Un ami de mon père m'a mis la main aux fesses un jour à la fin d'un repas en me disant de débarrasser la table. J'avais 13 ans. Tout le monde riait de sa bonne blague jusqu'à ce que je lui renverse un seau d'eau sur la tête et qu'il me traite, éberlué, de "féministe". Ce qu'il me lançait comme une insulte a été une révélation.
Le second déclic a été la naissance de ma fille vingt ans plus tard. J'ai compris alors qu'elle venait seulement de naître, en voyant mon père se pencher sur le berceau, que je n'accepterais jamais pour elle les choses que j'avais subies, et qu'il fallait aller plus loin afin de changer ce monde pour elle.
Pour ce qui est de la "déconstruction"- un terme qui m'agace un peu-, le livre fondamental, aujourd'hui encore, et malgré ses défauts ou ses manques, reste Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, et beaucoup plus tard Les Monologues du Vagin de Eve Ensler.
E.T. : J'ai eu à titre personnel l'impression grâce à #Metoo de me rendre justice à moi-même. J'ai reconnu les agressions sexuelles que j'avais vécues depuis l'enfance et cela n'a pas été facile. Ce qui me donne de l'espoir, c'est l'émergence que j'observe, malgré les désaccords et parfois les clivages d'une solidarité – voire une sororité – féministe probablement inédite à une large échelle.
C'est cela, l'effet #Metoo : la reconnaissance que ce que nous subissons est anormal et un grand mouvement qui se lève pour refuser ce scandale et revendiquer, enfin, notre droit fondamental à l'intégrité et à la dignité dans le refus des violences et des agressions sexuelles.
E.T. : Je suis rarement confrontée à ce genre d'arguments. Mais quand cela arrive, si je sens que la personne est sincère, je pose des questions pour la pousser dans ses retranchements : en général, la discussion prend alors un tour intéressant, surtout si on y met un peu d'humour.
Sinon j'esquive. J'essaie de nourrir ma vie autrement qu'en entretenant les obsessions des antiféministes. Ma priorité, c'est de créer des utopies joyeuses, pas de me perdre dans les dystopies de la domination.
E.T. : De nombreux livres et oeuvres m'ont accompagnée dans mon cheminement depuis quarante ans et il serait difficile de tous les citer. Mais récemment, je dirais que c'est le livre de Starhawk, Rêver l'obscur, qui m'a le plus fait réfléchir autour de l'écoféminisme.
E.T. : Je crois au partage d'expérience plus qu'au conseil, car je ne pense pas en savoir plus que les autres. Je dirais que ce qui m'aide, moi, personnellement, c'est de faire vivre la solidarité féministe et de ne pas se laisser enfermer dans les polémiques ou les clivages, tout en restant ouverte sur les points de convergence possibles.
J'aime aussi remercier mes adversaires qui m'aident à construire ma pensée. Vivre avec nos désaccords sans se haïr me paraît important, même si c'est parfois très difficile.
E.T. : Le 5 juin, je serai à Nice pour un grand rassemblement féministe international contre les frontières. Il s'agit de contester cette construction viriliste et militaire qu'est le nationalisme, pour défendre le droit à la migration et à la protection des personnes en exil. C'est d'après moi un grand combat écoféministe de revendiquer une terre sans frontières, une terre qui n'est pas propriété à exploiter, mais un écosystème à respecter et à comprendre. Et c'est aussi important d'affirmer la primeur de l'humanité en défendant des valeurs d'accueil, d'ouverture et de partage.
Pour revoir les premières conférences Le féminisme n'a jamais tué personne, c'est ici :
Conférences "13 minutes" : Le féminisme
Violences sexistes : quand les femmes prennent la parole