En 2014, Loujain al-Hathloul était détenue 73 jours pour avoir tenté de se rendre en Arabie saoudite en voiture depuis les Emirats arabes unis. En mai 2018, la féministe saoudienne était arrêtée. La raison : son engagement pour les droits des femmes, et plus précisément le fait d'avoir milité pour l'autorisation des Saoudiennes à conduire et la fin de la tutelle sexiste qui les met à la merci des hommes. Deux ans et demi plus tard, si le pays a depuis levé l'interdiction qui empêchait les citoyennes de prendre le volant, l'activiste est encore derrière les barreaux, et n'a toujours pas été jugée.
Il y a un mois, le 26 octobre, elle entamait une grève de la faim de deux semaines pour avoir le droit de communiquer avec sa famille, précise RFI. Le 25 novembre, à l'issue d'une audience de son procès, un juge a annoncé transférer son cas devant le Tribunal pénal spécial, une cour chargée des affaires de terrorisme. Une décision "inquiétante", pour Amnesty International, qui définit la juridiction comme "une institution utilisée pour museler la dissidence et connue pour prononcer de lourdes peines d'emprisonnement à l'issue de procès entachés de graves irrégularités".
"[Loujain al)Hathloul] n'aurait jamais dû passer une seule journée en prison", affirme Katia Roux, chargée de plaidoyer auprès d'Amnesty International, à RFI. "Il est primordial que la communauté internationale et tous les acteurs se mobilisent pour demander sa libération immédiate et sans conditions qui plus est au regard de son état de santé très faible".
En septembre dernier, la maire de Paris Anne Hidalgo boycottait justement la conférences des maires Urban 2020, organisée virtuellement depuis Riyad, la capitale de l'Arabie saoudite, pour protester contre la détention de la militante, nommée citoyenne d'honneur de la ville de Paris en 2019. Les 21 et 22 novembre, le pays présidait également le G20.
Lynn Maalouf, directrice adjointe du programme régional Afrique du Nord et Moyen-Orient auprès de l'organisation non-gouvernementale, condamne à son tour : "Voilà une nouvelle preuve que les annonces de réforme de l'Arabie saoudite en ce qui concerne les droits humains ne sont qu'une farce."
Amnesty International rappelle qu'en 2018, treize militantes et défenseuses des droits des femmes ont été arrêtées par les autorités, et cinq sont encore détenues : Loujain al-Hathloul, Samar Badawi, Nassima al-Sada, Nouf Abdulaziz et Mayaa al-Zahrani. La justice locale les accuse notamment de contacts avec des médias et des diplomates étrangers. Une "hypocrisie sur l'émancipation des femmes", pourtant prônée par le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS) qui tente laborieusement de redorer le blason de son pays, que Lynn Maalouf dénonce fortement.
Un terme repris par Safa al Ahmad, directrice de l'ONG ALQST établie à Londres qui documente les atteintes aux droits humains en Arabie saoudite. "A bas les masques et l'hypocrisie de ce régime barbare !", lance-t-elle dans les colonnes du Monde, peu avant la décision du 25 novembre. "Comment peut-on encore être dupes ? Le sort réservé à Loujain, comme à plusieurs féministes, témoigne de la réelle nature du régime."
Car si le roi Salman bin Abdulaziz al Saoud et le prince héritier Mohammed Ben Salman ont bel et bien lancé des réformes sociales et économiques ces dernières années, "celles-ci ne peuvent pas occulter les atteintes aux droits humains qui y sont commises actuellement ni la répression violente exercée contre les militant·e·s qui défendent ces droits et toute personne qui ose exprimer une opinion indépendante", martèle Amnesty International. "Aucun changement véritable ne se fera sans la participation de celles et ceux qui sont à la tête de ce combat, et il ne se fera en aucun cas contre ces personnes."