Monde
Militantes saoudiennes emprisonnées : "Marlène Schiappa devrait intervenir"
Publié le 15 janvier 2019 à 13:09
Par Marguerite Nebelsztein
Alors que six militantes des droits des femmes sont encore emprisonnées en Arabie saoudite, la journaliste spécialiste du pays Clarence Rodriguez lance un appel au gouvernement français pour qu'il prenne le sujet à bras le corps.
Les six militantes saoudiennes emprisonnées Les six militantes saoudiennes emprisonnées
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Clarence Rodriguez a été journaliste pendant 12 ans en Arabie saoudite. Elle est l'autrice des livres Révolution sous le voile paru en 2014 et d'Arabie Saoudite 3.0, Paroles de la jeunesse saoudienne paru en 2017.

Elle se bat pour qu'Iman al-Nafjan, Hatoon al-Fassi, Loujain al-Hathloul, Aziza Al-Youssef, Samar Badawi, Nassima al-Sada, les six militantes des droits des femmes emprisonnées pour trahison en Arabie saoudite depuis le printemps dernier ne soient pas oubliées. Grâce aux réseaux sociaux, elle tente d'alerter sur la situation terrible de ces femmes, dont certaines ont été torturées en prison.

La journaliste accuse le jeune Mohammed ben Salman (MBS), l'héritier du royaume, d'avoir emprisonné ces militantes afin qu'elles ne puissent pas lui faire de l'ombre.

Clarence Rodriguez lance un appel à la secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa. Elle dénonce un silence qui se fait au profit des intérêts économiques de la France.

Qu'en est-il de la situation de ces militantes aujourd'hui ?

Il faut faire quelque chose. Je connais notamment très bien Iman al-Nafjan et Hatoon al-Fassi qui est une agrégée d'Histoire et qui est une femme incroyable. C'est important de parler d'elles, quand je poste mes petites infos sur Twitter, c'est vraiment pour ne pas les oublier.

Il y a une injustice totale. Elles sont des pionnières, ce sont des femmes qui ont toujours milité pour le droit de conduire. Ce qui est incroyable et lamentable, c 'est qu'un mois avant que les femmes puissent concrètement conduire, elles ont été jetées en prison. Le père de Loujain al-Hathloul est intervenu et il a confirmé qu'elle avait été victime de torture.

Et la raison invoquée par les autorités saoudiennes est totalement fallacieuse puisqu'elles les qualifient de traîtres. Mais la raison réelle, c'est que ce sont des femmes, et j'en parle en connaissance de cause : elles ont pignon sur rue dans la presse internationale, et ce sont des femmes qui auraient pu faire de l'ombre à Mohammed Ben Salman, qui lui veut s'arroger tous les droits et la lumière.

La journaliste Clarence Rodriguez
L'autorisation des femmes à conduire ou l'annonce du divorce par SMS ne sont-elles pas juste des petites bulles destinées à la presse internationale pour ne pas parler des vrais problèmes des droits des femmes en Arabie saoudite ?

Les militantes emprisonnées auraient demandé légitimement l'abolition du tutorat. Et là, quand on parle du tutorat, c'est comme un noyau et vous avez plusieurs branches.

C'est pour cela que cette jeune fille a été arrêtée en Thaïlande : elle ne possède aucune autonomie, elle est obligée d'en référer au tuteur [NDLR : menacée par sa famille la jeune Rahaf Mohammed Al-qunun a fuit l'Arabie saoudite pour demander l'asile. Elle a été accueillie par la Canada qui est en rupture diplomatique avec l'Arabie saoudite en raison du sort réservé aux militant·es des droits humains]. C'est la raison pour laquelle beaucoup de femmes veulent partir mais ne le peuvent pas.

Pour moi, et je le dis haut et fort, la principale réforme que doit mettre en place le prince héritier, c'est l'abolition du tutorat.

Les petites réformes qui sont annoncées, ce sont des bulles d'air, mais ce sont des bulles de leurre.

Trois mois après l'assassinat odieux et crapuleux du journaliste Jamal Khashoggi, comme par hasard on parle de l'ouverture du royaume au tourisme, on invite des journalistes occidentaux, dont des Français, et là on apprend que les femmes vont pouvoir être averties par texto en cas de divorce. Quel progrès extraordinaire !

Je suis un peu cynique mais le coeur du sujet, c'est : dans quelles conditions ces femmes se retrouvent ? Est-ce qu'elles vont toucher une prestation compensatoire ? Tout cela, on n'en parle pas, on dit juste qu'elles vont être averties par SMS. Elles ont intérêt à avoir un réseau qui fonctionne bien ! Si vous n'avez pas la 4G, dommage pour vous !

Quand j'ai vu ça, j'ai trouvé ça incroyable. Ils sont en pleine campagne de communication ! Des boîtes de com françaises comme Publicis et Havas sont derrière le prince Mohammed ben Salman et essaient de redorer son image. Vous voyez bien qu'il y a une synchronicité trois mois après le meurtre de Khashoggi et cette tentative de redorer l'image de MBS. On distille quelques petites infos.

Mais dans la réalité, pour les Saoudiennes, on est dans la poudre aux yeux. Dans la réalité, les femmes qui conduisent sont une minorité. Encore une fois, on est dans l'exagération parce qu'on veut répondre à la communauté internationale mais dans la réalité, ce n'est pas du tout ce qui se passe.

Est-ce que les choses bougent quand même ?

Il y a des choses qui ont bougé, mais cela a été le cas au moment de feu roi Abdallah [L'oncle de Mohammed ben Salman, roi de 2005 à 2015]. C'est quand même lui qui a permis aux femmes par exemple d'être vendeuses, d'être caissières, d'être admises à la shura, le conseil consultatif, en 2013. C'était beaucoup plus concret.

Il avait une fille, la princesse Adila, que j'avais interviewée pour écrire un chapitre de mon premier livre, sans voile, sans tabou. Elle est adulée par les femmes, elle donnait l'exemple. Elle faisait remonter des informations sur le travail des femmes par exemple, cela passait par le canal normal, le conseil consultatif de la shura, et ensuite c'était sur le bureau du roi son père.

Mais aujourd'hui on est, concernant les femmes, dans de l'approximation alors qu'on était dans des sujets de fond au temps de feu roi Abdallah où il y a eu beaucoup plus de petites améliorations.

Il ne faut pas oublier que Mohammed ben Salman n'a qu'une idée en tête : c'est sa vision 2030, qui tend à diversifier l'économie du pays. Ce n'est pas en tant que féministe qu'il fait ces petites réformes.

Alors qu'avant avec feu roi Abdallah, il voulait vraiment aider les femmes, mais en tenant compte du consensus. Avant de prendre une décision, il tenait compte de l'avis des tribus, des religieux et de la population. Et tant que la décision n'obtenait pas l'approbation de la population, il ne lançait rien ou alors avec parcimonie. MBS, lui, est un autocrate avec un régime à la verticale, il phagocyte tous les pouvoirs et tout doit passer par lui.

La seule chose que MBS doit faire, c'est de libérer ces militantes. Là, on est dans le concret et pas dans les micro-réformes. S'il veut adresser un message fort à la communauté internationale, il libère ces femmes, il libère le blogueur Raïf Badawi, et les prisonniers d'opinion.

Pourquoi la France ne prend-elle pas position fortement pour la libération de ces militantes ?

La France joue la carte de l'omerta totale. Je regrette qu'une femme comme Marlène Schiappa n'intervienne pas. Quand on est réellement militante des droits des femmes et de toutes les femmes, pour moi, il n'y a pas de frontières.

Personne ne se positionne, personne n'ose bouger ou parler parce que les intérêts économiques et financiers sont trop importants. On a peur et on ne veut pas froisser la susceptibilité des Saoudiens.

Mais, ils se trompent, parce que depuis très longtemps, il y a des contrats en souffrance et la France n'est pas pour autant récompensée.

La France devrait avoir une position plus marquée comme l'a fait Angela Merkel ou le Canada. Avoir des positions fermes et tranchées. Il aurait fallu profiter de la situation à la suite du meurtre de Jamal Khashoggi, dont MBS est accusé d'être le principal commanditaire.

La France a une responsabilité de non-assistance à personnes en danger. Et je pèse mes mots. Quand on parle de globalisation, elle doit s'effectuer également dans la défense des droits des hommes et des femmes.

C'est un appel que j'ai déjà fait auprès du président Emmanuel Macron et de Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires Étrangères : à un moment, il faut y aller ! Il faut être courageux et ne pas être poltron et se cacher derrière des signatures ou des contrats. Il ne faut pas perdre son intégrité.

Et moi je vais vous dire franchement, tant que je pourrais le faire et le dire, je dénoncerais les choses, parce qu'il est important de garder une intégrité intellectuelle et une probité.

Je ne suis pas une donneuse de leçons, mais il y a des choses qu'il faut oser dire. La classe politique française se doit d'intervenir auprès de la classe politique saoudienne pour libérer ces femmes.

Marlène Schiappa devrait intervenir. On va nous répondre qu'on intervient pas dans les affaires intérieures de l'Arabie saoudite, mais quand il s'agit des droit de l'homme, il n'y a pas de frontières. Il faut y aller.

Moi j'aime beaucoup le franc-parler de Marlène Schiappa, je souhaiterais qu'elle puisse intervenir auprès des autorités saoudiennes pour libérer ces femmes. Si elle veut qu'on se rencontre, je suis prête à lui expliquer comment on vit en Arabie saoudite.

Vous avez partagé sur Twitter ce message d'Ali Shihabi qui connaît bien le pouvoir saoudien et qui annonce peut-être une libération prochaine. Y-a-t'il un espoir aujourd'hui qu'elles soient libérées ?

Il y a des turbulences et un vent favorable suite à l'affaire Khashoggi. A un moment, MBS sera obligé de réfléchir et de fléchir. Je suis pour l'instant circonspecte tant qu'elles n'ont pas été libérées. Mais la personne qui lâche cette information me donne espoir. Je serai folle de joie si cela se produit.

Mots clés
Monde france Arabie saoudite droits des femmes News essentielles Femmes engagées interview
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