Baby blues, n.m. : Etat de tristesse, de dépression qui peut suivre l'accouchement, explique Google. Le phénomène toucherait 60 % des femmes. Rien de très réjouissant, on est d'accord. D'après Psychologies, ça ne durerait que quelques jours. Rien à voir, donc, avec la dépression post-partum, qui elle est une pathologie sur le long terme qui nécessite un traitement thérapeutique.
Aujourd'hui, avec du recul et pas de baby blues, ni de dépression à déclarer, je me dis que j'ai eu de la chance. Mais en repensant aux premières semaines avec ma fille, je réalise aussi qu'on devrait prévenir davantage les jeunes mamans que ce n'est pas tout blanc ou tout noir. Tristesse infinie ou nuage de bonheur. La plupart d'entre nous atterrit plutôt dans une zone grise où les émotions affluent par intermittence.
Je me souviens notamment des paroles de la sage-femme lors du premier cours de préparation à l'accouchement : "Parfois, vous vous sentirez très heureuse. D'autres, vous aurez envie de pleurer pour un rien, vous aurez besoin de sortir vous aérer et de laisser le bébé à votre partenaire. Ce n'est pas pour autant que vous aurez un baby blues." Ah. Apparemment, ça s'appelle seulement les hormones. Et ça, tout le monde (ou presque) y passe. C'est à ce moment-là, où l'on devrait être comblée et se plonger chaque jour avec amour dans le regard de son bébé, que notre cerveau en décide autrement. Sans crier gare, il va nous emmener sur des routes sinueuses. Et emplies de nostalgie.
Les premiers jours, une pensée me revenait souvent en tête : celle que plus rien ne serait jamais pareil. Que l'insouciance avec laquelle j'évoluais avant d'être enceinte, la spontanéité que je pouvais m'accorder, et le luxe de n'avoir à prendre soin que de moi-même, étaient terminés. Pour une merveilleuse cause que je ne regretterai jamais, je préfère préciser. Mais terminés quand même. Je me suis surprise plusieurs fois à rêver de me retrouver dans le studio où j'habitais avant de fonder une famille, un bol de coquillettes au beurre dans la main et Secrets d'histoire à la télé, sans autre distraction que le fil interminable d'Instagram. Même les dîners entre copines me semblaient loin. Comme si j'avais signé pour une vie totalement différente, qui ne pourrait jamais être compatible avec mes habitudes d'avant. Ce qui n'est pas tout à fait faux, mais pas réellement vrai non plus.
J'en venais à envier ma voisine qui rentrait en tenue de sport un soir au téléphone, évoquant un prochain resto avec des amies. A J+10 après la naissance, j'avais l'impression de m'être laissée prendre dans un tourbillon que je ne maîtrisais pas toujours, et ça m'inquiétait. Au-delà d'une réaction chimique caractéristique, le fait que je sois partie en éclaireuse dans l'aventure bébé a sûrement dû accentuer cette sensation d'exclusion. Aucune autre amie, aucun autre couple d'ami·es proches que je voyais fréquemment n'avait encore passer le pas de la parentalité. Certain·es s'en approchaient, mais après moi.
Je n'arrivais pas à me projeter car je n'avais personne sur qui prendre exemple. Et l'inconnu total m'effrayait un peu, mon indépendance restant essentielle à mes yeux. J'avais parfois l'impression de vivre un événement que personne ne comprenait vraiment. J'ai même essuyé quelques larmes sur le siège passager de la voiture quand, terrassés par la fatigue, on quittait la maison à 17 heures pour le bois de Boulogne, avant de se rendre à l'évidence qu'une balade de nuit aurait une toute autre saveur que sous le soleil de décembre - et de rebrousser chemin.
Et puis petit à petit, je me suis forgée ma propre idée de la maternité. Avec mon conjoint, on savait pertinemment que si un enfant change la vie - dans tous les sens du terme - on souhaitait réussir à ne pas trop bouleverser la nôtre. Continuer à sortir dans la mesure du raisonnable, écouter de la musique, partir l'un sans l'autre. Seulement la réalité ne correspond pas toujours immédiatement à l'imagination. Une naissance épuise, bouleverse, transforme. Et toutes ces étapes prennent de l'énergie et du temps à se stabiliser.
Alors que je retrouvais mes forces, j'ai décidé d'être plus indulgente avec moi-même et de trouver un rythme qui me conviendrait. De ne pas lutter quand ces moments de cafard se manifesteraient, mais de ne pas non plus sur-analyser leur présence. L'important, c'est de savoir que ça passera, et qu'on n'est pas seule. Verbaliser ces pensées ne fait pas non plus de soi une mauvaise mère, au contraire. Car c'est justement en se confiant qu'on ne les laisse pas s'installer.
Aujourd'hui, mon quotidien n'est clairement plus le même, mais je ne suis toujours pas prête à renoncer à mes petits moments privilégiés qui composent mon identité. Ma fille sera simplement de la partie. Depuis quelques temps, la nostalgie s'est largement dissipée. Avec l'habitude, mais surtout le sentiment grandissant qu'en fin de compte, je ne voudrais revenir en arrière pour rien au monde.