"Quand t'es hôtesse chez McDonald's France, les managers hommes exigent clairement que tu portes la jupe, mais aussi que tu mettes du rouge à lèvres, que tu t'épiles les jambes". "En privé, le manager demandait aux employées quelle était la couleur de leur soutien gorge". "En gros, si tu étais une fille blanche, tu étais en caisse. Si tu étais un homme et racisé, tu étais en cuisine". "Chez McDo, les salariés c'est un truc jetable. T'es une femme, tu seras un objet. On utilise tes seins pour vendre des burgers".
Des témoignages comme ceux-ci abondent. On les retrouve dans cette enquête édifiante du site StreetPress. Car il ne fait pas bon s'aventurer dans les coulisses de "l'esprit d'entreprise" estampillé McDo. Aujourd'hui, ce sont des dizaines et des dizaines d'employé·e·s qui relatent à StreetPress et Médiapart leurs expériences. Des profils différents mais des mêmes accusations : remarques déplacées, harcèlement, sexisme, racisme, grossophobie. A croire que la discrimination y est la plus exploitée des recettes.
Restauration rapide, mais enquête au long cours. Les voix des stagiaires, hôtesses, équipiers, employés à la caisse comme aux cuisines, s'entremêlent pour fustiger des violences tues, banalisées, si ce n'est systémiques, intégrées à la dynamique même de l'entreprise, comme une sorte de règlement oppressif. "Il y a par exemple les jupes qu'on nous donne, qui sont tellement serrées et coupées de sorte que quand on monte les escaliers, on voit tout ce qui se passe en dessous", narre à ce titre Myriam, une ancienne salariée d'un McDo parisien. Des paroles qui bousculent.
Pressions professionnelles diverses, salarié·e·s moins jeunes "relégué·e·s en arrière-cuisine à couper des tomates", exploitation d'individus précaires, remarques sur les tenues, le maquillage et le physique... Pas moins de 38 salarié·e·s ou ancien·ne·s salarié·e·s font état d'une réalité bien moins "venez comme vous êtes" qu'on ne pourrait le croire. A ces voix s'ajoutent encore les 40 témoignages collectés par le collectif McDroits et l'association React.
Un véritable état des lieux donc. Parmi ces nombreux cas anonymes, 37 auraient subi du harcèlement sexuels, 32 du harcèlement moral et 9 une agression sexuelle, détaille encore StreetPress. Il y a par exemple le cas symptomatique de Johanna, qui autrefois oeuvrait en caisse. Des violences, elle en a subies de la part des clients. Cette bande de jeunes par exemple, qui lui a lancé : "T'aimes bien servir les plateaux, grosse chienne".
Mais aussi de la part de sa directrice, "pouffant de rire" à l'annonce de son mal-être. De la part de son manager également, qui lui assène blagues lourdes et remarques sexistes, et lui expliquera plus tard choisir "les salariées à fortes poitrines" en caisse "afin d'attirer les clients". Réaction de la principale concernée ? "Moi aussi, j'ai une forte poitrine donc je me suis sentie comme du bétail", dit-elle. S'ensuit un burn out, des crises de larmes, un isolement de plus en plus intense.
Johanna partira finalement, suite aux insistances de son médecin. Parfois, le départ est une réponse à l'exclusion. Celle que subissent les salariées jugées trop grosses par exemple. C'était le cas pour Anne, 25 ans, qui en cinq ans de services s'est toujours retrouvée cantonnée au nettoyage en salle, jamais en caisse. "Je savais qu'on me cachait mais bon fallait bien travailler pour payer les factures", explique-t-elle désormais.
Exclure, donc, ou inciter ses salarié·e·s à le faire. "Mon directeur m'ordonnait de lyncher mes équipiers et me disait : 'Allez, je te fais confiance, défonce-les, défonce-les. Ils n'ont pas à t'aimer. Plus ils vont te détester, mieux ce sera'", raconte Jennifer, une ancienne manageuse. Les abus d'autorité sont permanents au sein de cette hiérarchisation. "On est dans un système de management de la terreur. Du jour au lendemain, vos collègues disparaissent et personne ne sait pourquoi ou n'ose demander", témoigne un cadre encore en poste.
"Les salariés pensent que personne n'est à l'abri de se voir notifier un licenciement du jour au lendemain et sans motif valable, créant ainsi un stress qui n'a pour seul effet que d'altérer la santé physique et mentale des salariés", poursuit un rapport du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de McDonald's France.
C'est ce risque continu de licenciement, et surtout le chantage et les menaces qu'il induit de la part des supérieurs, qui oblige bien des salariés à accepter des gestes, des propos, des attitudes. Jusqu'au point de rupture.
Ces témoignages se poursuivent en vidéos, du côté de la chaîne YouTube de StreetPress. On y entend notamment la voix de Coralie. A 17 ans, la jeune femme travaillait pour McDonald's France. Elle raconte : "Un collègue passait souvent derrière moi pour chercher des trucs dans les stocks. Il me touchait les cuisses, les hanches, les fesses. J'étais naïve et je ne comprenais pas ce qui se passait. Des gens le voyaient et ne disaient rien, je me laissais faire. J'avais essayé d'en parler à mon responsable et il m'avait dit qu'il ne fallait pas en parler à mon manager car j'étais encore en période d'essai. Que j'allais causer trop de problèmes et que je risquais d'être virée".
La réponse de l'entreprise à tout cela ? Elle est timide. McDo se serait contenté de ce mail, adressé à Médiapart et StreetPress : "Notre entreprise condamne avec une grande fermeté tous comportements à connotation sexuelle ou sexiste, tous comportements qui porteraient atteinte à la dignité des personnes en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, et tous comportements qui créeraient une situation intimidante, hostile ou offensante".
Et pendant ce temps, d'autres paroles patientent certainement dans l'ombre.