L'effet d'une victoire. C'est ce que l'on éprouve à la vue de la nouvelle saison de la mini-série d'anthologie à succès American Crime Story, baptisée Impeachment. La production FX dédie ses derniers épisodes à l'une des affaires qui a bousculé l'Amérique : celle de Monica Lewinsky, ou MonicaGate. Un récit qui nous ramène à la présidence de Bill Clinton, et à la figure ô combien malmenée de l'ancienne stagiaire de la Maison Blanche, incarnée à l'écran par Sarah Paulson (Ratched).
La vraie Monica Lewinsky, elle, est co-productrice du show. D'où cette impression salvatrice : l'entrepreneure semble se réapproprier une histoire qui lui a échappée.
Car le MonicaGate n'est pas simplement une affaire de scandale sexuel. Quand en 1998 la presse et le "web social" alors naissant, diffusent largement les accusations de relations sexuelles dont fait l'objet le président des Etats-Unis, c'est le visage de sa méconnue stagiaire qui se retrouve épinglé. Triste célébrité. En plus des pressions diverses, Monica Lewinsky fera dès lors l'objet de moqueries et d'insultes. Un acharnement médiatique effarant d'hypocrisie que dénonce depuis des années la principale concernée en interviews et conférences.
Retour sur un cas flagrant de sexisme global.
Flashback : le 17 août 1998, le président Bill Clinton admet avoir eu une liaison avec Monica Lewinsky, ancienne stagiaire au Bureau des affaires législatives de la Maison Blanche. Lorsque cette annonce bouscule le paysage politico-médiatique, cela fait deux ans déjà que Monica Lewinsky, 22 ans seulement, est dans le viseur de l'entourage présidentiel, sa proximité avec Bill Clinton faisant grincer des dents – tous deux se fréquenteraient intimement depuis 1995.
En 1996, cette étudiante en psychologie fut même éloignée du leader par le biais d'un transfert au Pentagone. Mais deux ans plus tard, c'est sous la pression du FBI que la jeune femme avoue ses relations extra-conjugales avec le président Clinton, en juillet 98, soit six mois après avoir nié les faits sous serment. Monica Lewinsky obtiendra finalement l'immunité de la part du procureur Kenneth Starr. En 1999 semble se profiler le point final de l'affaire Monica Lewinsky : objet de pas moins de onze chefs d'inculpation, Bill Clinton ne sera finalement pas destitué.
Mais si l'homme le plus puissant du monde s'en sort relativement indemne, ce n'est pas le cas de Monica Lewinsky. Celle-ci fut prise dans un véritable tourbillon médiatique. Certaines de ses conversations privées, enregistrées contre son gré, furent révélées sur les chaînes d'informations et mises en ligne. Des journaux ne lésinaient pas sur les noms d'oiseaux ("petite pouffiasse", "grosse chaudière", "prédatrice", "écervelée", comme le rappelle le New York Times), et sa photo circulait largement sur le web. Pendant ce temps, des émissions à succès comme le Saturday Night Live faisaient de Lewinsky leur tête de turc.
"Monica Lewinsky incarnait alors au regard de l'opinion la figure de la maîtresse - que les Américains appellent 'the other woman', autrement dit l'autre femme : celle qui porte le poids de la faute, celle qui encaisse, la pute', la 'salope'", analyse dans les pages de Elle l'autrice Esther Perel. Comme le relate le magazine, ce "poids" n'était pas simplement du fait des misogynes standards : certaines militantes féministes américaines réputées n'hésitaient pas à insulter dans les journaux l'ancienne stagiaire de la Maison Blanche.
Une véritable vague de slut shaming.
"Elle a été extrêmement malmenée par la presse, le FBI (qui la menaçait de trente ans de prison) et la justice. Elle n'avait que 22 ans et sa photo se retrouvait dans les médias, sur Internet. Elle était très amoureuse à l'époque et a été jetée en pâture, elle et sa famille, se faisait traiter de 'salope' partout. Bien que jeune, elle ne pouvait plus décrocher d'autre job", décrypte auprès de Terrafemina la politologue et historienne Nicole Bacharan, co-autrice du livre Les grands jours qui ont changé l'Amérique (Editions Perrin, septembre 2021).
Pour la spécialiste, la presse américaine considérait "qu'elle était tout de même bien responsable de ce qui lui arrivait, qu'elle savait où elle mettait les pieds", tout comme les membres du Parti démocrate, "qui étaient furieux puisqu'ils en faisaient la cause d'un scandale mettant en péril la présidence Clinton". L'opinion politico-médiatique a traité Monica Lewinsky avec un mélange d'hypocrisie, de conservatisme moral et de culpabilisation, érigeant la victime d'un acharnement médiatique en coupable.
A travers cet acharnement, une forme de victim blaming, ce phénomène consistant à critiquer les gestes et attitudes des femmes victimes de violences. Pourtant, près de deux décennies après l'affaire, le Time va délivrer un article au titre éloquent : "Pourquoi nous devons des excuses à Monica Lewinsky". Pour en arriver à ce mea culpa timide, il a fallu attendre que la principale concernée s'exprime à travers une tribune remarquée du magazine Vanity Fair, mais aussi et surtout, le temps d'une conférence Ted X.
Au sein de cette vidéo de 2015 aux 20 millions de vues, Lewinsky dit tout. Son amour passé pour Bill Clinton ("une romance improbable"). Les remarques vénéneuses de la presse à l'époque. Le "shitstorm" vécu par l'entremise du web. Les années de souffrance qui s'ensuivirent. Elle relate même ses pensées suicidaires. Au gré de cette intervention incarnée surgissent des mots majeurs comme "humiliation" et "honte".
"Il ne se passe pas un jour sans que l'on me rappelle mon erreur [être tombée amoureuse du Président] ou que je la regrette. Du jour au lendemain, je suis passée de l'anonymat absolu à l'humiliation internationale. J'étais le patient zéro de la perte de réputation instantanée à l'échelle mondiale. Les jugements hâtifs facilités par la technologie ont poussé les foules à me lapider virtuellement", y énonce-t-elle, la voix chargée d'émotion.
Et Monica Lewinsky de poursuivre : "Certes, c'était avant les réseaux sociaux, mais on pouvait déjà commenter en ligne et faire des blagues cruelles. La presse utilisait mon image à tout bout de champ pour vendre des journaux, des bandeaux publicitaires. On m'a traitée de traînée, pétasse, salope, pute, bimbo". Une rhétorique indignée, et particulièrement éloquente aujourd'hui, à l'heure des nouvelles révolutions féministes, comme #MeToo.
La principale concernée elle-même s'est souvent exprimée sur cette libération massive de la parole. "Ce qui s'est passé entre Bill Clinton et moi n'était pas une agression sexuelle, mais nous pouvons admettre qu'il s'agissait d'un grave abus de pouvoir. Je me dis que la notion de consentement était discutable. Si j'ai été abusée, ce n'est pas lors de notre relation mais par la suite, lorsqu'on a fait de moi un bouc émissaire afin de protéger sa position", expliquait-elle ainsi en 2018, comme le rapporte Le Parisien.
Monica Lewinsky admire celles qu'elle nomme "les héroïnes" : les anonymes qui osent prendre la voix afin de dénoncer les violences dont elles furent victimes. A l'aune de #MeToo, elle rembobine sa propre histoire et les problématiques qu'elle implique. "Ce qui me permet aujourd'hui de remettre mon histoire en question, c'est de savoir que je ne suis plus seule. Et pour cela, je suis reconnaissante", détaille-t-elle encore. Il y a quelque chose de fort à voir Monica Lewinsky saluer les "survivantes" de #MeToo.
"Le mea culpa de la presse relève d'un certain opportunisme, mais également d'une évolution globale des mentalités. Les médias se sont très mal conduits à l'époque donc ont intérêt à redresser la barre", admet Nicole Bacharan. Pour la spécialiste des Etats-Unis, nous entrons depuis peu, doucement mais sûrement, vers une nouvelle étape de la vie et la carrière de Monica Lewinsky : "La reconnaissance de ce qu'a été l'expérience de cette jeune femme, ce qui, il y a six ans encore, n'était toujours pas audible".
Une évolution aux airs de révolution ?