Le 5 février, Framing Britney Spears atterrit sur les plateformes Hulu et FX. Un documentaire choc de Samantha Stark produit par le New York Times, qui s'intéresse à la pop-star autrement qu'en disséquant son apparence et ses relations amoureuses. Tout l'inverse du réflexe usé jusqu'à la corde par divers tabloïds et magazines depuis ses premières apparitions, lorsqu'elle entonnait Baby One More Time dans des centres commerciaux.
Au contraire, c'est justement ce harcèlement perpétré par la presse people et les paparazzis qui en vivent, qu'épingle le prestigieux journal américain. Ça, et la tutelle sous laquelle a été mise l'artiste en 2008. Une décision de justice largement contestée par ses fans, à l'origine du mouvement #FreeBritney, et questionnée par le docu, qui donne depuis 13 ans les pleins pouvoirs sur ses intérêts personnels, professionnels et financiers à son père, l'insaisissable (et gourmand) Jamie Spears.
Pendant 75 minutes d'images d'archives et d'interviews de proches, de photographes, de journalistes, de fans et d'avocats, on retrace le parcours de la chanteuse depuis son enfance, et on découvre - si on ne le savait pas déjà - qu'elle est bien plus que la "marionnette" que veut nous vendre une poignée de personnes. Surtout, cette enquête nomme un coupable clair derrière la façon dont elle a été, et continue d'être traitée : la misogynie qui, intériorisée ou non, gangrène la société. Et a fortiori, la vie et le libre arbitre de Britney.
Britney Spears a 10 ans quand elle débarque de Kentwood, Louisiane, bourgade au coeur de la Bible Belt, pour tenter sa chance sur le plateau de Star Search. Elle y performe une interprétation devenue légendaire de Love Can Build a Bridge, sa voix puissante et parfaitement maîtrisée d'autant plus impressionnante au vu de son jeune âge.
Pourtant, ce n'est pas sur sa passion évidente pour la musique, l'école ou sa famille que l'interroge le présentateur septuagénaire Ed McMahon, sorte de Jacques Martin avec lunettes à double foyer. Non, lui, ce qui l'intéresse, c'est si elle a un amoureux. Soupir. Et lorsqu'elle répond que "non", parce qu'ils "sont méchants", il lance : "Et moi, je peux devenir ton petit copain ?" La jeune fille reste interdite, puis réplique : "Et bien, ça dépend", visiblement désarçonnée face à une telle question, inconfortable au possible.
Elle ne se doute certainement pas, à ce moment-là, que son quotidien en sera pavé, de remarques du genre. Et que plus elle grandira et s'émancipera, plus on s'acharnera à l'infantiliser, à culpabiliser sa sexualité, à l'humilier comme on ne l'aurait jamais fait avec un homme. Qu'on traquera ses moindres faits et gestes, mettra en doute sa capacité à être une bonne mère, se moquera de ses failles, stigmatisera ses troubles de santé mentale.
Qu'on en voudra toujours plus, accuse à juste titre le film. Voire qu'on déclarera publiquement vouloir la tuer.
Avance rapide jusqu'en 2003, Britney Spears passe devant les caméras de Diane Sawyer, intervieweuse phare des années 90-2000 apparemment étrangère au concept de sororité. La chanteuse vient de rompre avec Justin Timberlake et subit de vives critiques quant à sa supposée responsabilité dans l'issue de leur romance. Ce sur quoi la journaliste s'attarde, lui demandant avec insistance ce qu'elle "a fait" pour rendre le pauvre Justin si malheureux. Lui, se vante au même moment sur une station de radio d'avoir "baisé" la jeune femme, sous les rires gras des invités et animateurs. Malheureux, on vous dit. (A noter que sous l'insistance des fans, le chanteur s'est excusé le 12 février dernier).
Dans le même entretien, Diane Sawyer lit à l'artiste un commentaire à peine croyable de l'épouse du gouverneur du Maryland, Kendel Ehrlich. "Vraiment, si j'avais l'opportunité de tirer sur Britney Spears, je crois que je le ferais", avait-elle osé publiquement avant de se rétracter. "C'est horrible. C'est vraiment terrible", réagit Britney Spears, atterrée. Son interlocutrice, née avant la honte, justifie sans ciller : "C'est à cause de l'exemple donné aux enfants, du fait que c'est difficile pour les parents de les tenir éloignés [de vos apparitions]", lâche-t-elle.
Rectification, pointe Framing Britney Spears : c'est à cause de double standards éreintants, d'une jalousie nocive et d'un slut-shaming socialement approuvé dans cette Amérique puritaine et conservatrice (mais pas que) qu'on en arrive là. Ajouter à cela une traque permanente pour la moindre photo revendue des centaines de milliers de dollars aux journaux, une interprétation discriminante de ses colères (pourtant légitimes) et une pression étouffante de l'extérieur, et la jeune femme a toutes les raisons de craquer.
En 2007 justement, elle craque. Elle se rase la tête sous les flashs pour défier la presse, elle ne veut "plus qu'on la touche", scande-t-elle sans qu'on l'écoute. Les médias présentent la séquence comme une "descente aux enfers". Des images qui seront moquées pendant des années par un public peu empathique (dont on ne s'exclut malheureusement pas), sourd aux véritables raisons qui l'ont poussée à franchir ce pas. En résulte une terrible privation de liberté.
La polémique de la tutelle reste l'axe principal qu'a donné à son reportage la réalisatrice. Depuis 2008, c'est le père de Britney Spears, Jamie, et l'avocat Andrew Wallet qui gèrent la vie de l'artiste. Et sa fortune de 59 millions de dollars. 13 ans que les deux hommes profitent aussi de leur part du gâteau (1,5 % de ses revenus bruts, exactement) pendant qu'elle continue de se produire dans les plus grandes scènes des Etats-Unis. Un paradoxe, relèvent plusieurs experts, qui admettent n'avoir jamais vu une tutelle mise en place sur quelqu'un d'aussi apte à travailler.
L'argument pour justifier une telle requête, par la suite acceptée par le juge de Californie : Britney n'est pas capable de se débrouiller seule. Après les événements de 2007, l'image d'une chanteuse déchue, impuissante et dépendante circule rapidement. Elle en perd même temporairement la garde de ses enfants. Pourtant, "c'est clairement elle qui avait le contrôle sur bon nombre de décisions. L'idée que Britney est une marionnette à qui l'on dit quoi faire est totalement fausse. (...) C'était elle la boss", confie Kevin Tancharoen, un chorégraphe ayant travaillé pour la star sur ses tournées jusqu'en 2004.
Jusque devant le tribunal, les fans soutiennent leur idole armé·e·s des désormais célèbres banderoles #FreeBritney. Pour eux et elles, pas de doutes, elle a été piégée. Même forcée à intégrer un service psychiatrique en 2019. La faute à certains membres de sa famille, avance-t-ils et elles, à la stigmatisation des troubles de santé mentale qui sévissait particulièrement à l'époque, à la surmédiatisation et à un sexisme profondément ancré dans nos comportements.
En 2020, Britney Spears a demandé à ce que la décision soit levée et à ce que Jamie Spears, dont elle aurait "peur", soit suspendu, révèle Insider dans un article détaillé. Ce que la cour a refusé. A la place, celle-ci a prolongé la tutelle jusqu'en septembre 2021.
Piégée ou pas, la question reste en suspens. Britney Spears, contactée à plusieurs reprise par l'équipe de tournage, n'a pas répondu aux sollicitations. Une chose est sûre cependant : victime, elle l'est bel et bien, du patriarcat et de ses nombreuses conséquences destructrices. Et avec Framing Britney Spears, Samantha Stark le condamne sans détour.
Seulement, ne nous méprenons pas : ce que dépeint le documentaire n'est pas isolé. Aussi consterné·e·s soit-on devant l'étalage de couvertures à scandale qui ont failli ruiner la vie de l'icône, aussi indigné·e·s se sent-on devant les mécanismes qui ont contribué à sa "chute", pas grand-chose n'a changé.
On continue, en grande majorité, à réduire une femme artiste à son physique, à lui demander ce qu'elle porte avant de l'interroger sur ce qu'elle a voulu dire dans ses morceaux, à juger ses relations, à se faire de l'argent sur ses souffrances. La preuve avec Taylor Swift ou Miley Cyrus, pour ne citer qu'elles. Et certains articles publiés pas plus tard qu'hier qui choisissent d'amasser (encore) du clic sur le jour où Britney Spears s'est rasée la tête, plutôt que de remettre en question leurs agissements dévastateurs (hello Closer).
Alors, aujourd'hui, plutôt que d'en retenir un cas unique décrypté avec soin, le film doit inviter à se questionner sur le rapport de chacun·e aux stars féminines, et les différences de traitement face à leurs homologues masculins. A soutenir le combat #FreeBritney, par ailleurs reconnu et apprécié par la star, comme à militer pour que ce type d'actions deviennent enfin inutiles.
Framing Britney Spears dénonce la misogynie qui ne cesse, encore en 2021, de nous façonner - et il serait grand temps de s'en débarrasser.
Framing Britney Spears, de Samantha Stark, disponible sur Hulu.