Société
Sexisme et parité en cuisine : la cheffe Noëmie Honiat se confie
Publié le 9 novembre 2021 à 16:49
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Arrivée en quart de finale de Top Chef en 2012, Noëmie Honiat continue à relever les défis. Elle fait aujourd'hui partie des six candidats pour la finale du Bocuse d'or France. Et elles ne sont que deux femmes. Nous avons parlé sexisme et parité avec la jeune cheffe déterminée.
La cheffe Noémie Honiat La cheffe Noémie Honiat© DR
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On l'avait découverte lors la saison 3 de Top Chef en 2012. Noëmie Honiat avait terminé la compétition culinaire à la cinquième place (l'édition avait été remportée par Jean Imbert), mais son accent chantant, son franc-parler et son talent avait marqué les esprits. Et la jeune cheffe de 32 ans a tracé son chemin.

Durant le premier confinement et alors que le restaurant aveyronnais qu'elle tient avec son mari, l'ex-candidat de Top Chef 4 Quentin Bourdy, était fermé, Noëmie l'hyperactive a enchaîné les lives de cuisine sur les réseaux sociaux. Depuis, elle a intégré la joyeuse équipe de chefs de la nouvelle émission le Feu et elle se prépare avec assiduité pour le prestigieux Bocuse d'or dont la finale française se déroulera le 23 novembre prochain. "Je vais tout donner", sourit cette adepte de "la pression des concours".

Nous avons échangé avec Noëmie Honiat sur le manque de parité en cuisine et le sexisme qui imprègne encore trop ce milieu très masculin. Interview sans langue de bois.

Terrafemina : La cuisine a-t-elle toujours été ta vocation ?

Noémie Honiat : Non, à la base, je voulais être architecte. Par contre, j'ai toujours été créative, je faisais des visages avec les quartiers de clémentine (rires). Et j'ai toujours été aussi rigoureuse. C'est en 4e que je suis tombée sur un reportage sur un lycée hôtelier. Quand j'ai vu tous ces jeunes chefs bien apprêtés avec leur toque, je me suis dit que ça avait l'air vraiment sympa. J'ai postulé dans trois écoles hôtelières. J'ai été prise dans les trois et j'ai choisi de faire mon apprentissage à Nice : une vraie révélation. En tout, j'ai fait six ans d'études : un Bac technologique, un BTS en art culinaire et une mention en pâtisserie.

La parité était-elle au rendez-vous durant ton apprentissage ?

N.H. : On était une trentaine d'élèves et oui, il y avait autant de filles que de garçons.

Comment expliques-tu que les femmes cuisinières disparaissent par la suite ? Elles ne représentent que 25% des cuisiniers professionnels et elles ne sont que 10% dans les restaurants gastronomiques.

N.H. : Déjà, il y a l'étape du stage. J'ai beaucoup d'amies qui ont arrêté après leur stage qui avait été très dur psychologiquement. On y "teste" les jeunes femmes. Si tu n'es pas forte mentalement, tu arrêtes parce que tu es dégoûtée du métier. C'est un monde machiste et c'est très vite violent : des remarques, des insultes, des surnoms dégradants, des piques sur le physique, sur le fait d'avoir éventuellement moins de force, se faire traiter de "chouineuse"... En tant que femmes, nous sommes stigmatisées dès le départ.

Le pire étant que les gens qui vont te harceler sont des personnes qui sont déjà passées par là. Quand on arrive là-dedans à 16 ans, on peut vite être dégoûtée. J'ai eu de la chance d'avoir de super stages, même si j'ai été aussi exploitée parfois. Mais j'ai tenu bon. Si dès le départ, on ne se laisse pas faire, on obtient le respect.

Il y a-t-il des remarques ou des comportements sexistes qui t'ont marquée ?

N.H. : Il y a tellement... On m'a enfermée dans une chambre froide, on se frotte à toi, on effleure ta poitrine... J'ai eu un chef qui, pendant un concours, m'a foutu une main au cul ! Et quand je lui ai fait une remarque, il m'a juste répondu : "Je suis chef". Malheureusement, je pense que c'est ainsi dans beaucoup de métiers, pas que dans la cuisine.

L'ex-candidate de Top Chef Noémie Honiat © DR
Il y a si peu de cheffes médiatisées... N'est-ce pas compliqué quand on veut faire ce métier et qu'on cherche des modèles ?

N.H. : J'ai toujours admiré Anne-Sophie-Pic, la cheffe la plus étoilée au monde. J'ai eu aussi le modèle de ma mère, qui m'a appris à me battre, à me relever. Mais j'ai fait de ce manque de représentation une force : OK, il y a peu de femmes dans ce milieu, mais on va foncer. Et puis mes chefs ont tenu ce rôle de pères spirituels. Ils m'ont vu grandir, ils m'ont appris à tout faire.

On souligne chaque année le manque de parité au sein de "Top Chef"...

N.H. : Oui, c'est réel. Sur 16 candidats, on n'est que 3 femmes à chaque fois ! Ils peinent à trouver trois femmes. Elles se disent peut-être que c'est joué d'avance ?

Avais-tu subi du harcèlement à l'époque de ton passage dans l'émission ?

N.H. : Les réseaux sociaux n'étaient pas aussi virulents, même si bien sûr, il y avait des messages de mecs débiles derrière leur écran qui m'insultaient. Je n'avais que 20 ans... Le plus difficile n'était pas tant le cyberharcèlement que le fait d'être lâchée après l'émission sans savoir comment gérer les comportements parfois intrusifs des personnes qui me considéraient comme une "actrice". Mais c'était globalement bienveillant.

Tu as deux enfants. Existe-t-il une pression supplémentaire liée à la maternité ?

N.H. : Oui, tu es sur la sellette. Etre enceinte est considéré comme une tare, comme si on ne pouvait plus rien faire, qu'on devenait "fragile". Pourtant, la veille de l'un de mes accouchements, je faisais des gâteaux pour 150 personnes ! J'allais aussi à l'émission Le Meilleur pâtissier avec ma fille : quand elle pleurait, je filais l'allaiter et je revenais sur le plateau. J'ai emmené mon fils au service dans un couffin où il dormait tranquillement tandis que je cuisinais. Bref, on s'adapte et ça le fait toujours.

La parole autour des violences sexistes et sexuelles dans la restauration peine à se libérer. Pourrait-on assister un jour à un #MeToo de la cuisine ?

N.H. : Je ne connais pas une seule femme qui n'ait pas subi quelque chose... Moi, j'ai eu la chance d'être dans des bons stages et dans des maisons que j'ai choisies. Mais je connais beaucoup de femmes qui sont parties en dépression. La cuisine, c'est comme l'armée : il y a une hiérarchie, on nous demande de fermer notre bouche. Et il y a la peur de ne pas évoluer si jamais tu dénonces. C'est un milieu qui est médiatisé et du coup, tu n'as pas envie d'être "cataloguée".

On parle régulièrement de "cuisine féminine". Cela t'agace ?

N.H. : Je m'en fous. Moi, je mets des fleurs comestibles dans mes plats, de la couleur, je fais une une cuisine minutieuse et colorée... Je suis touchée par la cuisine d'Anne-Sophie Pic, mais aussi celle de Serge Vieira, Bocuse d'Or et chef deux étoiles, celle du chef Philippe Mille... Il n'y a pas de "cuisine féminine", il n'y a pas de genre, juste des choses qui te touchent, comme l'art.

Parlons écologie. Le milieu de la cuisine n'a-t-il pas son rôle à jouer dans la lutte contre la crise climatique, en faisant davantage la promotion de la cuisine végétale par exemple ?

N.H. : J'habite à la campagne, en Aveyron. On a nos propres poules, on est en direct avec les producteurs et on travaille les bêtes avec beaucoup de respect. Selon moi, il faudrait surtout changer notre façon de manger. Personnellement, je ne mange de la viande qu'une fois par semaine.

Et puis il y a toute une façon éco-responsable de travailler. On ne fera jamais de Saint-Jacques au mois d'août par exemple, on cuisine avec des produits locaux et on ne jette rien- ça permet de nourrir les poules par exemple. Il faudrait qu'on enseigne les bonnes pratiques à l'école. J'ai halluciné en donnant des cours dans une école où l'on m'a sorti... de la crème pâtissière ou des sauces en poudre ! Il faudrait apprendre aux élèves à aller au marché, à choisir des fruits et légumes de saison, à respecter les produits.

Aurais-tu une petite recette facile à nous livrer ?

N.H. : Vous pouvez faire des tuiles craquantes très simples.

  • Prenez 30g de blancs d'oeuf, 30g de sucre glace, 30g de beurre pommade (texture crémeuse), 30g de farine.
  • Mélangez le sucre avec le blanc au fouet, puis ajoutez le beurre et la farine.
  • Vous pouvez personnaliser votre mélange en ajoutant de la vanille, du cacao, un sachet de thé, de la verveine, un zest de citron ou d'orange...
  • Etalez cette pâte assez finement directement sur un plat et détaillez après cuisson ou utilisez des pochoirs pour enfants.
  • Placez vos tuiles sur un papier sulfurisé et mettez au four à 200° pendant 5 minutes.

C'est super avec un thé, une salade de fruits, une glace. Ca fait son effet !

Mots clés
Société Cuisine et gastronomie sexisme interview News essentielles hommes / femmes égalité hommes-femmes
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