Lifestyle
La belle revanche de Claire Vallée, première cheffe vegan étoilée
Publié le 27 janvier 2021 à 15:28
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Elle avait les convictions, l'intuition, le talent. Et son audace a payé. Claire Vallée est devenue la première cheffe vegan étoilée au Guide Michelin 2021. Interview d'une gastronome écolo.
La cheffe vegan étoilée Claire Vallée La cheffe vegan étoilée Claire Vallée© Maxime Gautier
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Claire Vallée est une pionnière. Car non contente d'intégrer le cercle (trop) restreint des femmes étoilées au Guide Michelin 2021 (cinq cheffes parmi les 57 établissements promus), la jeune quarantenaire est devenue la première cheffe vegan à voir son restaurant décrocher la prestigieuse récompense. Une révolution. Et une jolie revanche pour celle qui a fait le pari du végétal il y a déjà quatre ans.

Se heurtant à l'époque à la frilosité des banques pour monter son projet novateur, Claire Vallée n'a jamais baissé les bras, a bataillé, compilé les dossiers et fait marcher le système D, convictions écolos chevillées au corps. En 2016 enfin, l'aboutissement de son parcours du combattant : son restaurant vegan et bio, ONA (pour "Origine non animale") lové au coeur du bassin d'Arcachon, à Arès. Et des récompenses (fourchette Michelin et deux toques Gault & Millau) qui n'ont pas tardé à pleuvoir.

Dans sa cuisine, Claire Vallée hume l'air du temps, s'inspire des saisons, puise ses matières premières au sein de la nature environnante et sublime légumes, épices, fleurs et fruits jusqu'à créer des associations aussi gourmandes qu'explosives. De quoi bousculer les esprits "viandards" étriqués qui n'imagineraient pas un repas gastro sans leur morceau de bidoche.

Rencontre avec une cheffe audacieuse qui veut faire bouger les lignes.

Terrafemina : Comment êtes-vous devenue cheffe ?

Claire Vallée : J'ai fait mes études dans le sud de la France et je suis devenue doctorante en archéologie. Pour financer mes études, j'avais l'habitude de faire des petits boulots dans des restos, comme le service en salle. On m'a d'abord proposé une place en Suisse. Puis de fil en aiguille, on m'a offert la chance de passer en cuisine comme pâtissière. C'est là que tout a démarré.

Je suis devenue cheffe très rapidement. Après huit ans en Suisse, j'ai fait un détour par la Thaïlande et je suis rentrée en France il y a six ans. Après un poste de cheffe dans un restaurant gastronomique, j'ai voulu aller plus loin. De par mes convictions et mon envie de faire du végétal en cuisine, j'ai monté mon propre restaurant.

Vous êtes-vous sentie seule dans ce milieu particulièrement masculin ?

C.V. : Parfois oui. Il y a eu des petites remarques sexistes, des altercations avec un chef... Quand on est une femme en cuisine, il vaut mieux avoir un certain aplomb, être dure mentalement, parce que ça parle crument. Mais cela s'apprend aussi avec le temps. Et je ne me suis jamais laissée faire, je n'ai pas ma langue dans la poche.

Mais je n'ai pas été malmenée non plus : je pense que d'autres ont subi des choses beaucoup plus difficiles que moi. Et puis j'ai évolué en Suisse, ce n'est pas la France. Cela joue peut-être... En tout cas, on m'a fait confiance très vite. J'étais autodidacte et j'avais des lacunes qu'il fallait que je comble. J'ai démontré que j'étais endurante, que j'apprenais vite, que j'avais le sens du détail.

Comment expliquez-vous cette si lente féminisation du métier ?

C.V. : Ce métier est très dur, avec des horaires impossibles, il laisse peu de temps pour une vie de famille, ce qui peut en dissuader quelques-unes. A celles qui hésitent, je dirais que c'est un métier vraiment à part, qui demande un énorme don de soi, mais c'est aussi l'un des plus beaux métiers du monde. Lorsque les clients me disent qu'ils ont adoré un plat, qu'on a ce retour direct, c'est tellement fort.

Pourquoi avoir choisi la cuisine végétale ?

C.V. : Il y a eu un vrai déclic lorsque je suis partie en Thaïlande pendant un an. Là-bas, il n'y a pas de produits laitiers et il n'y a que des parts minimes de viande et de poisson. On y fait la part belle au végétal, avec du tofu, du seitan, des herbes, des racines. Rien à voir avec les steaks de 400 grammes que l'on s'avale en France ! C'est aussi une alimentation qui est basée sur la santé : on va toujours chercher des épices qui font du bien au corps et à l'esprit.

Lorsque je suis rentrée en France, je ne mangeais déjà plus de viande et de poisson. J'ai continué à les travailler pendant deux ans, mais je me suis rendue compte que lorsque je les cuisinais, ces chairs animales devenaient accessoires et que la garniture et la sauce végétales prenaient le dessus. C'est là que je me suis lancée dans le 100% vegan.

La cuisine vegan de la cheffe Claire Vallée © Cécile Labonne
Vous avez dû faire appel à une campagne de financement participative pour monter votre projet de restaurant. Quels ont été les freins ?

C.V. : Les organismes bancaires ne m'ont pas laissé le choix et m'ont fermé des portes, parce que mon projet était un peu trop novateur. Imaginez : c'était un restaurant vegan sur le Bassin d'Arcachon, où l'on mange beaucoup d'huîtres, de poissons, du foie gras, un projet monté par une femme autodidacte, pas connue, dans une petite rue à Arès... Et en plus, je n'avais aucun apport d'argent. Ils se sont tous dit que j'étais folle et que ça ne marcherait jamais.

Mais je ne me suis pas découragée. Du coup, je suis passée par des campagnes de crowfunding, par une banque éthique, la Nef. Et j'ai eu la chance de pouvoir compter sur des ami·e·s qui sont venu·e·s m'aider pour faire les travaux. Aujourd'hui, nous sommes très fier·e·s : une étoile au bout de quatre ans, c'est beaucoup de travail, mais cela prouve qu'à coeur vaillant, rien d'impossible !

De nombreuses idées reçues circulent sur le véganisme, soit-disant "dangereux pour la santé", sur le manque de protéines... Que répondez-vous à cela ?

C.V. : L'homme est avant tout chasseur et cueilleur et j'imagine que tous les hommes ne ramenaient pas de viande tous les jours à la maison. La viande n'est pas une nourriture fondamentale. Le problème, c'est qu'en France, nous avons une alimentation très carnée et basée sur le produit laitier. C'est donc plus compliqué pour accepter cette évolution. Mais allez dans des pays asiatiques, il y a beaucoup de végétariens et de végétaliens. Et il n'y a aucun problème avec ça, aucune carence, du moment où vous avez une alimentation diversifiée.

Qu'est-ce qui a motivé votre propre changement de régime : le bien-être animal, la santé, le souci environnemental ?

C.V. : Les trois ! On ne peut pas nier la souffrance animale, elle existe et on la connaît. Cela vous touche si vous êtes empathique, ce qui est mon cas. Sur l'empreinte environnementale, on sait que les industries laitières et l'industrie de la viande font beaucoup de dégâts. Sans compter les ressources d'eau que cela demande, les médicaments, les colorants que l'on retrouve dans la viande... Et puis il a été prouvé que manger moins de viande et de produits laitiers était meilleur pour la santé, notamment en limitant les risques de cancers. Mais attention : je ne suis pas une ayatollah du véganisme, je sais qu'il y a des éleveurs qui font très bien leur métier et produisent du qualitatif. Je parle surtout des industriels.

Comment élaborez-vous votre carte ?

C.V. : En fonction des saisons, des nouveaux fruits et des nouveaux légumes qui arrivent tous les mois. Je m'appuie sur les circuits locaux. Et je m'inspire aussi de mes voyages. Je peux utiliser une nouvelle technique que j'ai découverte dans un pays ou une région de France, je vais puiser dans mes souvenirs d'enfance. Ou je peux m'amuser à décliner un produit de saison comme l'asperge ou la tomate sur toute une carte.

A quoi ressemble votre clientèle ?

C.V. : Elle est très variée. Ce qui est étonnant, c'est que 95% de notre clientèle n'est pas végane. Ce sont des gens qui viennent grâce au bouche-à-oreille, des guides ou un article de presse ou juste des curieux et des amoureux de la bonne cuisine. Et il y a vraiment tous les âges.

Vous appliquez votre démarche écolo jusque dans les moindres détails de votre établissement. Expliquez-nous.

C.V. : Oui, nous avons d'ailleurs reçu l'Etoile verte (qui récompense les chef·fe·s les plus écolos) grâce à cela aussi. Nous travaillons avec les producteurs locaux pour réduire notre empreinte carbone, nous nous fournissons en énergie verte auprès de la coopérative Enercoop, nous disposons de composts pour recycler nos épluchures que nous retravaillons dans notre jardin, nous utilisons des emballages Ecocert, de l'eau ionisée, tous nos vins sont bios et vegan...

Faites-nous saliver et présentez-nous quelques-uns de vos plats.

C.V. : Je pourrais vous présenter un palet de chou fleur rôti aux baies de batak et au curcuma frais avec une île de courge, servi avec un tartare d'algues et sésame torréfié, accompagné d'un consommé à la citronnelle et au safran et une tuile à la farine de sarrasin.

Si nous allons vers un plat plus printanier, j'aime bien faire un chaud-froid d'asperge avec asperges crues et cuites laquées, une vinaigrette au pamplemousse et poivre timuth et des gnocchis de patates douces, le tout servi avec des fraises fraîches.

Cette étoile arrive alors que les restaurants sont fermés. On ne peut qu'imaginer votre frustration.

C.V. : Oui, forcément, on a envie de retrouver nos clients. Nous avons plein de messages de félicitation, d'encouragement, des appels de personnes qui veulent venir du monde entier, même du Brésil. Et ne pas être ouvert, c'est compliqué. Mais heureusement, j'ai d'autres projets en parallèle. Avec cette nouvelle étoile, nous avons des choses à faire pour la déco, des équipes à recruter. Et je suis en train de finaliser un livre. Lors du premier confinement, j'avais testé le "click and collect", mais c'était assez compliqué car j'étais toute seule. Donc maintenant, on attend et on croise les doigts.

Des émissions comme Top Chef ont-elles un rôle à jouer dans l'évolution de la cuisine végétalienne ?

C.V. : J'ai justement été contactée par Top Chef en tant que candidate. Je me suis posée la question : comment peut-on être végétarienne et travailler du poisson et de la viande ? Personnellement, je ne me voyais pas le faire. Même si je l'ai fait avant dans des restaurants gastronomiques, je n'ai plus envie aujourd'hui. J'ai donc refusé. Mais j'ai expliqué que je pouvais proposer une épreuve de cuisine végétale. Pour le moment, je n'ai pas eu de retour. Peut-être que maintenant que j'ai une étoile, cela va les titiller un peu plus ?

Mots clés
Lifestyle auto-entrepreneur Portraits interview vegan ecologie News essentielles Cuisine et gastronomie Femmes engagées Société
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