On ne lasse pas de vous louer The Substance.
En alignant mise en scène hyper graphique, gore exacerbé et virulence féministe, la cinéaste frenchie Coralie Fargeat délivre avec ce choc à vivre en salles un croisement aussi absurde que fracassant entre Barbie (la version Greta Gerwig, celle qui énerve les misogynes) et La mort vous va si bien, succulente farce macabre. Au coeur de l'oeuvre, dans la peau d'une star has been, le sex symbol définitif des années 90, Demi Moore. Qui déploie un sens du tragicomique inouï, forte dans l'intimisme comme dans l'émotion viscérale !
Et ce qui le démontre, c'est que si cette satire accumule horreur organique ultra visuelle, sanguinolence et écœurements divers, ce n'est pas du tout ce côté-là qui nous a remué. Enfin, si, mais : pas seulement. Car pour trouver LE cataclysme de The Substance, il faut aller plus loin.
On vous raconte ?
The Substance, c'est un film dont la forme, agressive, hyperpop, frénétique, n'a d'égale que le fond, foisonnant : il y est autant question de jeunisme et de chirurgie esthétique que de "male gaze", de sexualisation du corps féminin et d'industrie du spectacle. D'ailleurs, on décrypte pour vous cette oeuvre devenue phénomène dans cette analyse.
Mais le coeur du film, c'est clairement cette séquence très intimiste... Et douloureuse. Elle dévoile le personnage de Demi Moore, star has been, se maquiller, se démaquiller et se re-maquiller inlassablement, dans l'attente de son date. Alors que les minutes s'écoulent et que le rendez-vous semble de plus en plus mis en péril, notre protagoniste n'a de cesse de modifier son aspect face au miroir de sa salle de bains. Quitte à s'user le visage, tout envoyer valser et fondre en larmes.
On comprend dans cette séquence courte mais insupportable - on ne comprend pas pourquoi une femme si "glamour" se déprécie à ce point - que ce personnage féminin obsessif, sexagénaire en quête de jeunesse éternelle (ce que prétend lui procurer la "substance" verdâtre du titre), voue à son corps... une absurde détestation. Qu'importe au fond qu'elle se métamorphose, s'altère face au miroir ou lors de "switch" surnaturels : elle souffre d'un système qui la fait complexer et culpabiliser. Sur quelque chose qui n'existe pas. Du sexisme intériorisé.
C'est ce dont parle viscéralement la cinéaste Coralie Fargeat : comment les femmes deviennent leurs propres ennemies à cause du patriarcat et de ses pressions multiples. Un instant politique, mais surtout très émotionnel. C'est un moment déchirant, plein d'humanité et de tristesse. Et de vécu ?
Visuellement, l'image puissante de Demi Moore saccageant son makeup est limpide : elle est horrifique, le rouge à lèvres baveux aidant, et figure même sur certaines affiches. Symboliquement, elle convoque mille significations. On peut y voir une allusion à la dysmorphie corporelle : ce trouble hyper incompris que nous décryptons pour vous, experte à l'appui, dans cet article.
Quelques minutes suffisent pour mettre à nu la conviction de Coralie Fargeat : le "body horror", ce sous-genre horrifique sublimé par David Cronenberg, n'est jamais aussi pertinent que lorsqu'il évoque le corps des femmes. Maltraité, malmené, jusqu'à la défiguration... Même en dehors des "climax" d'épouvante !
Ce film horrifique brillant dévoile sa "substance", justement, dans ses images les plus intimistes, comme celle-ci. Ou alors, à travers cet audacieux "full frontal" de Demi Moore, scène de nu exceptionnelle toute aussi forte politiquement parlant.