La Semaine de la santé mentale, qui prend place dès ce 9 octobre, est l'occasion de mettre en lumière des phénomènes qui, bien souvent, en disent long sur la société d'où ils émanent. C'est le cas d'un trouble dont témoignent de plus en plus de (jeunes) personnalités : la dysmorphie corporelle.
En deux mots, la dysmorphie corporelle, c'est ce trouble qui se caractérise par une préoccupation disproportionnée vouée aux défauts physiques. Lesdits défauts sont volontiers fantasmés : la personne concernée a une image déformée d'elle-même, de sa propre apparence, de son corps. Ces dernières années, la chanteuse Billie Eilish et la mannequin grande taille Irena Drezi sont venues ouvrir la parole à ce sujet.
Un sujet de plus en plus familier.
L'an dernier, un court-métrage Disney, "Reflect (Reflet en français)", mettant en scène une danseuse luttant contre son propre reflet, abordait frontalement ce trouble. Des voix qui permettent de sensibiliser, nous assure la psychopraticienne féministe Fleur Mathet : "D'avoir des stars qui osent montrer leur vulnérabilité, comme Billie Eilish qui parle de dysmorphie corporelle ou de dépression, ou Stromae qui ose parler du suicide, c'est important".
"Ca me semble également nouveau, d'oser dire qu'on est fragile, qu'on peut l'être, et qu'on s'en sort tout de même. Ce trouble nous rappelle avant tout la très grosse pression en lien avec l'image du corps que l'on observe dans notre société, et spécialement le corps des femmes. Le corps est traité comme un bien de consommation, avec tout le marché de la beauté, du bien être, qui lui est relatif. Beaucoup de femmes sont stressées par leur apparence, davantage que leurs homologues masculins", relate Fleur Mathet.
Mais de quoi la dysmorphie corporelle est-elle au juste le nom, comment se caractérise-t-elle, quelles sont au juste ses conséquences sur la santé, physique et psychologique ? Et comment y faire face ?
Clara Falala-Séchet est psychologue clinicienne et psychothérapeute. Elle dédie une partie de son travail aux difficultés liées aux émotions, aux problématiques liées au comportement et aux difficultés relationnelles. Elle est également membre temporaire de recherche rattaché·e à l'Université Paris Descartes - Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé.
L'experte est revenue pour nous sur ce vaste et complexe sujet.
Clara Falala-Séchet : Celles et ceux qui souffrent du trouble de la dysmorphie corporelle pensent que une ou plusieurs parties de leur corps présentent un défaut, une imperfection, qui serait perceptible de l'extérieur, et que ces imperfections seraient plus importantes que la moyenne.
Or, en réalité, ces imperfections présumées ne se voient pas. Elles ne sont pas perceptibles par autrui. Il n'y a donc pas de corrélation entre l'ampleur perçue et ressentie et ce que l'entourage peut en réalité percevoir.
C'est une pathologie qui est plutôt fréquente chez les patients de genre féminin, et qui se développe tout au long de la vie. Ses prémices s'observent plutôt au moment de l'adolescence.
Cependant on entend encore trop peu parler de ce trouble pour deux raisons. La première est relative au sentiment de honte que peuvent ressentir les personnes concernées. La deuxième est liée au trouble en lui-même : la plupart des personnes qui présentent une dysmorphie corporelle n'ont pas conscience qu'elles ont une dysmorphie corporelle.
Elles ont un degré de prise de recul sur elles-mêmes qui est relativement faible. En vérité, elles ne pensent pas qu'elles vivent une dysmorphie.
A noter qu'il existe en outre une sous catégorie de la dysmorphie corporelle, c'est la dysmorphie musculaire : les personnes qui en souffrent sont certaines que leurs corps ne sont pas assez musclés. Leur perception est altérée.
Clara Falala-Séchet : La dysmorphie corporelle peut s'expliquer par plusieurs raisons. Premièrement, on vit dans une société qui accorde beaucoup d'importance à l'apparence physique, avec une quête de perfection. On nous fait croire, sur les réseaux sociaux et dans la publicité : "si tu ressembles à ça, alors tu te sentiras heureux". En montrant des corps qui sont dans un standard élevé, ne représentent pas la diversité des corps.
Il suffit de voir les corps mis en Unes des magazines. Ces corps sont présentés comme un standard. On le retrouve également sur Instagram. Cela incite à se comparer, à vouloir tendre vers ce type de physique.
Mais ce trouble peut aussi être le fait d'une éducation où un poids énorme aurait été mis sur l'apparence corporelle, au sein de son environnement proche : amis, famille, professeur. En outre, cela peut aussi arriver si la personne qui en souffre a été confrontée à des proches qui eux mêmes exprimaient un avis critique envers leur propre corps. C'est ce que l'on appelle par ailleurs un "apprentissage par observation".
Mais ce trouble peut également éclore si la personne concernée a fait l'objet durant l'adolescence de critiques virulentes concernant son corps, dans le cadre d'un harcèlement scolaire par exemple...
Clara Falala-Séchet : C'est une pathologie qui fait extrêmement souffrir les personnes qui en sont sujettes. On note une comorbidité de 30 % avec des pensées suicidaires, le tout corrélé avec des symptômes dépressifs voire des troubles alimentaires.
La personne qui souffre de dysmorphie corporelle va s'adonner à des comportements répétitifs : vérifications, comparaisons de son apparence avec celle d'autrui, actes mentaux divers... Elle va potentiellement fréquenter moins de gens, éviter certaines situations, moins sortir, cela peut avoir des impacts professionnels, sur la vie de tous les jours, la vie sociale.
Clara Falala-Séchet : On traite principalement la dysmorphie par la thérapie comportementale et cognitive. En remettant en question ces distorsions de pensées par tout un tas de techniques, en essayant d'assouplir ses propres pensées. Cela consiste notamment à se demander si les gens accordent autant d'importance à nos supposées imperfections qu'on ne le croit.
Si ce trouble a trait à un traumatisme dans l'enfance cela peut aussi être traité par l'EMDR; ou Intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires [qui vise à traiter la mémoire traumatique des individus, ndlr].
Cela peut également passer par la thérapie centrée sur les émotions, ou via la thérapie d'acceptation et d'engagement, ou ACT, qui vise à travailler de nouveaux comportements, après avoir accepté l'inconfort que l'on éprouve, ses sensations négatives, et à se reconcentrer sur ce qui compte, les choses qui ont de l'importance.
Cela peut aussi passer par des thérapies plus corporelles : par exemple, le patient ou la patiente va être invitée à se positionner devant un miroir, à toucher son propre corps...
Ce procédé permet aux personnes concernées de ré-internaliser une image du corps qui est plus adaptée à ce qui est réellement perçu.
Clara Falala-Séchet est psychologue clinicienne et psychothérapeute.
Témoignage de Billie Eilish sur la dysmorphie corporelle.
Informations supplémentaires sur le trouble dysmorphique du corps.
Pour plus d'informations sur la Semaine de la santé mentale, rendez-vous sur la page de sensibilisation dédiée de Webedia.