Culture
Benjamin Biolay, lâcher-prise et #MeToo : Nolwenn Leroy raconte son "nouveau cycle"
Publié le 24 novembre 2021 à 17:25
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Pour son 8e album, Nolwenn Leroy fait un pas de côté. La chanteuse a laissé Benjamin Biolay lui façonner un album infininement personnel, "La cavale", révélant de nouvelles facettes de sa voix et de sa personnalité. Interview.
L'interview girl power de Nolwenn Leroy
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Pas évident de lâcher prise. C'est pourtant cette liberté, cet élan qui est au coeur du 8e album de Nolwenn Leroy, La cavale. Pour la première fois en 20 ans, la chanteuse a décidé de laisser les rênes à d'autres, de faire confiance à leurs mots, à leurs mélodies. Et de "lâcher les chevaux", elle qui pose en amazone moderne sur la pochette de ce nouveau projet.

C'est ainsi que Nolwenn s'est laissée porter par le talent du boss de la chanson française, Benjamin Biolay, qui, tel un créateur de haute couture, lui a confectionné un album sur-mesure. Elégant, vibrant, audacieux. Un disque qui ressemble à ce qu'elle est aujourd'hui, à 39 ans. L'ex-Thérapie Taxi Adé est venue également ajouter sa touche perso pour embarquer la Bretonne vers des rivages plus pop.

Lorsque nous l'appelons ce matin-là, Nolwenn Leroy est en compagnie de son "beau corsaire" (le titre de la chanson dédiée à son fiston de 4 ans). Elle rit en le canalisant : "Marin chéri, Maman est au téléphone, sois mignon". Passionnée et volubile, Nolwenn nous a parlé de ce nouvel album qui lui plaît et lui sied tant, de son image, de sa volonté farouche de se préserver, de ses engagements aussi.

Terrafemina : C'est la première fois que tu confies la totalité de ton album à d'autres. Comment on apprend à lâcher prise ?

Nolwenn Leroy : C'est venu de mon état d'esprit général après ce que nous avions vécu. L'enfermement, le confinement... Il y a eu une espèce d'urgence d'oser, d'y aller, de ne plus avoir peur. A la base, nous voulions faire de la musique ensemble avec Benjamin (Biolay), sans avoir d'album en tête : se retrouver, comme deux musiciens, en studio et voir là où ça nous emmenait. Et voilà comment est née La cavale.

Comment Benjamin Biolay est-il rentré dans ta tête ?

N.L. : Je suis assez fascinée par sa capacité à extraire l'essence de ce que tu es, il parvient à être dans une écoute folle. C'est très fort. Ce n'est pas "l'album de Benjamin pour Nolwenn". C'est souvent ce qu'on imagine, particulièrement quand c'est un chanteur qui écrit pour une chanteuse : il y a ce côté Pygmalion à sa muse. Alors que là, à travers nos moments d'échange, il est arrivé à saisir et comprendre pour me créer le plus beau des costumes. Il m'a laissée libre, il m'a donné confiance en moi. C'était fabuleux de pouvoir travailler avec lui sans angoisse.

La chanson Mon beau corsaire, écrite pour ton fils Marin, est assez bluffante, le sujet étant particulièrement intime.

N.L. : Oui, à mon sens, c'est là où c'est le plus notable. Je suis arrivée avec mon propre texte et lorsque j'ai entendu la chanson qu'il avait écrite, je me suis dit qu'elle devait rester telle quelle. C'était magnifique. Il a cette capacité de lire en toi, mais aussi à traduire le fait d'être parent, à parler de la transmission. Il l'avait déjà prouvé avec sa chanson Ton héritage.

Nolwenn Leroy en 2021 © Yann Rabanier
On a également l'impression que tu as lâché prise vocalement. Comme Jean-Jacques Goldman avec Céline Dion, Biolay t'a-t-il demandé de "déchanter" ?

N.L. : Bizarrement, non. En arrivant en studio, j'y ai pensé. Alors que je ne me pose habituellement jamais de questions en entrant dans la cabine d'enregistrement, là, je me suis dit qu'il fallait que je retienne les chevaux, que je chante un peu différemment.

Mais Benjamin m'a arrêtée direct. Il m'a dit que j'étais libre et qu'il fallait que je reste moi-même. Il m'a rassurée. En ne voulant pas me faire devenir quelqu'un d'autre, il m'a révélée à moi-même. Au final, nous avons fait très peu de prises de voix. On était dans l'instantané.

Sur la chanson Tu me plais, on te découvre sensuelle, émancipée.

N.L. : Le mot "froide" revient souvent me concernant et c'est une énigme pour moi. Je reconnais le fait de ne pas vouloir me livrer à tort et à travers et de ne pas me donner en spectacle. Mais je pense au contraire avoir fait des projets chaleureux, comme l'album Bretonne. Est-ce parce que je suis brune et que j'aime les contes et les légendes ? (rires)

Sur Tu me plais, j'exprime certaines émotions de façon plus directe. Lorsque j'écris habituellement, j'utilise beaucoup de métaphores, et je me suis peut-être trop cachée derrière cela.

Sur cet album globalement, j'aborde certains sujets comme je ne l'avais jamais fait. Je me sentais prête en tant que femme et en tant qu'artiste. Un peu comme Billie Eilish à qui on pose des questions sur ses photos plus dénudées. C'est son choix, elle est en phase avec elle-même. C'est ce qui s'est passé pour moi : j'étais dans un alignement total entre ce que je suis et ce que je chante. On ne s'est pas dit : "Tiens, on va faire une chanson d'amour un peu sexy". Ca s'est fait naturellement.

Nolwenn Leroy © Yann Rabanier
On t'a connue scrutée H24 et 7 jours sur 7 par les caméras de la Star Academy. Quel regard portes-tu sur cette expérience 20 ans après, toi qui tiens tant à préserver ta vie privée ?

N.L. : C'était un défi de participer à un programme de téléréalité. J'ai réussi à faire en sorte de ne dévoiler que ce que je voulais dévoiler, à travers la musique, sans avoir à trop me livrer par ailleurs. C'était crucial pour moi.

J'avais 19 ans et les gens ont compris que j'avais ce petit côté un peu taiseux de bonne Bretonne que je suis. Cette attitude m'a rapprochée du public, paradoxalement. J'ai vécu la transition entre deux époques. Aujourd'hui, on a vraiment cette impression qu'il faut occuper l'espace sans cesse et souvent en dehors de la musique. Et c'est parfois compliqué de tout donner. Et j'ai toujours cette réaction un peu naïve : "Mais ça intéresse qui, en fait ?"

Dans cette ère où l'on se livre beaucoup sur les réseaux sociaux, se préserver est-il un luxe ou un risque ?

N.L. : Je pense qu'il est possible de mener sa vie tranquillement. J'en suis la preuve. C'est ma ligne de conduite depuis le début. Je ne porte aucun jugement : chacun a une façon différente de faire les choses. Moi, je me confie à travers mes chansons. Le public me suit, comprend et est respectueux.

Tu nous avais confié vouloir inculquer une éducation féministe à Marin. Cela donne quoi aujourd'hui ?

N.L. : Cela se prolonge. Et c'est assez naturel. Beaucoup de femmes de ma génération qui ont des enfants, fille ou garçon, évitent une éducation trop genrée, je pense. Les choses évoluent, même s'il y a encore de vieux réflexes très ancrés.

Marin va-t-il partir avec toi en tournée ?

N.L. : Maintenant, il y a l'école, donc ça change un peu les choses... Mais j'essaierai d'organiser ma tournée en fonction. Je ne sais pas encore comment cette tournée va se passer, notamment avec le Covid qui est toujours là. On va prendre notre temps pour monter un beau spectacle, mais il y en aura un, c'est sûr car cet album a aussi été pensé pour la scène.

Ce sera probablement à la fin du printemps 2022, quelques festivals d'été aussi. En famille, certainement, si c'est possible. Parce que je ne me vois pas être séparée de ma famille quand je pars sur la route. Mais il faut aussi penser au confort de Marin. Tout s'organise même si ce n'est pas toujours simple, toutes les mamans le savent ! On n'a pas le choix.

Album "La cavale" de Nolwenn Leroy
Lors d'une interview à Paris Match, tu as évoqué la possibilité de faire un jour de la chirurgie esthétique. C'est formidable de briser ce tabou.

N.L. : Cette bribe était issue d'une conversation informelle, je confiais que la chirurgie me faisait un peu flipper. J'ai été étonnée que cela se retrouve dans la presse, je trouvais ça un peu superficiel. Mais finalement, c'est vrai qu'il y a un tabou et c'est bien de libérer la parole et pas que sur la chirurgie esthétique.

Ce qui en ressort, c'est le nombre de questions que l'on me pose aujourd'hui sur le fait d'avoir bientôt 40 ans. C'est systématique et clairement, ce n'est pas une question positive. Poserait-on cette question à un chanteur ? Je n'ai jamais vu ça, moi. Oui, cela fait 20 ans que je suis là alors qu'au début, on ne donnait pas cher de ma peau. Et je suis forte de ça. Je ne me dis pas que je me suis prise un gros coup de pelle ! (rires) 40 ans, c'est le début d'un nouveau cycle et c'est très positif.

Ressens-tu l'injonction à ne pas vieillir, la pression du jeunisme ?

N.L. : Oui, clairement. Et c'est notamment flagrant dans les métiers artistiques, où l'on s'expose. On scrute l'image que l'on renvoie. C'est sans doute encore plus dur pour les actrices que pour les chanteuses.

Cette pression touche toutes les femmes. Pouvoir en parler librement, ça soulève un véritable problème très pesant. Il y a aujourd'hui une course à la jeunesse, cette tentative de retarder le temps qui passe. Car cela crée une angoisse chez la femme alors que cela ne devrait pas l'être. Je le constate déjà à 39 ans.

Les langues commencent très timidement se délier à propos des violences sexistes et sexuelles dans la musique. As-tu senti une différence depuis l'avènement de #MeToo ?

N.L. : Depuis que j'ai commencé à 19 ans, je ne me suis jamais sentie en danger. Nous sommes dans un métier de séduction et parfois, oui, tu te poses la question : est-on dans le registre de la séduction ou franchit-on une barrière ? Cette barrière n'a jamais été franchie en ce qui me concerne.

Mais bien sûr, il y a eu des années d'abus dans le cinéma, dans la musique, dans l'industrie du spectacle et dans tant d'autres entreprises. #MeToo a incité beaucoup de personnes à se tenir à carreau. Cette libération de la parole est donc très importante, même si tout est loin d'être réglé.

Comment change-t-on cet écosystème toxique ?

N.L. : En prenant la parole. Aujourd'hui, on parle, on le dit et on est entendues. Il était temps. C'est triste qu'il faille en passer par la peur. Cela sera gagné quand cela changera parce que les hommes auront compris ce qui n'est pas "normal".

Et justement, ce sera la prochaine génération qui pourra définitivement faire évoluer les choses. Parce que les garçons ne seront plus éduqués de la même manière, qu'ils respecteront les femmes, l'autre en général. J'y crois vraiment.

Tu nous avais confié en 2017 : "Je pense que tant que la force et le pouvoir seront dans les mains des hommes, il n'y a rien à attendre". Comment envisages-tu l'élection présidentielle à venir ?

N.L. : Justement, j'espère qu'un jour, une femme accédera au pouvoir. Mais vu comme c'est parti pour 2022, j'ai le sentiment qu'on essaie plutôt de monter les gens les uns contre les autres au lieu de se poser de vraies questions sur de vrais sujets comme celui-ci. Il faudrait aussi plus de femmes à la tête des grandes entreprises, à la tête de maisons de disques. Pour l'instant, les postes à responsabilités sont globalement squattés par des hommes. Mais restons positifs : ça avance.

Album La Cavale de Nolwenn Leroy, sorti le 12 novembre 2021

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Culture musique Girl power News essentielles interview feminisme #MeToo Femmes engagées
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