Ils n'ont fini que 7e lors du programme court de patinage en couple ce 18 février. Mais peu importe finalement : le symbole était ailleurs. Et il était important. Car en s'élançant sur l'air du White Crow d'Ilan Eshkeri lors de ces Jeux Olympiques de Pékin, les Américains Ashley Cain-Gribble et Timothy LeDuc ont offert un bel exemple d'inclusion au sein d'une compétition pour le moins controversée. En effet, Timothy LeDuc est devenu·e la première personne ouvertement non-binaire (ne s'identifiant ni strictement comme homme, ni strictement comme femme) à participer aux Jeux Olympiques d'hiver. Et pour iel (le pronom neutre associé aux personnes non-binaires- "they" en anglais), ce n'est pas rien.
Si la star de 31 ans avait hésité avant de faire son coming out public en 2018, iel a réalisé l'importance de la représentation et l'impact de ses mots dans le milieu très conservateur du patinage. "Je veux pouvoir regarder ma carrière sportive et ne pas avoir de regrets", a-t-iel ainsi confié au Register. "Et je savais que je regretterais vraiment de ne pas pouvoir être simplement la personne que je suis à la maison avec ma famille, avec mes amis, avec mon copain."
L'athlète originaire de l'Iowa, qui patine depuis ses 12 ans, a fait son coming out gay auprès de ses parents à l'âge de 18 ans. Une révélation qui ne s'est pas faite sans heurts au sein d'un clan très religieux. "Ma famille voyait cela comme un problème à résoudre", confesse-t-iel. Son coming out non-binaire suivra 10 ans plus tard. Aujourd'hui, ses parents participent à la marche des Fiertés et sont devenus "d'incroyables alliés", se réjouit Timothy LeDuc.
Et c'est en 2016 qu'iel fait la rencontre qui a véritablement chamboulé sa vie : la patineuse Ashley Cain-Gribble, son alter ego, sa partenaire. Le coup de foudre est immédiat, leurs idées aussi alignées que leurs patins. LeDuc et Cain-Gribble se complètent, fusionnent et forment un duo détonant, bien décidé à pulvériser les codes engoncés de la discipline.
"Pendant longtemps, Timothy et moi ne nous sommes pas vus représentés", explique la jeune patineuse de 26 ans à CNN Sport. "Et pendant longtemps, les gens ont eu des choses à dire sur nous, sur mon corps ou sur la sexualité de Timothy. Les gens continuent d'ailleurs à faire des commentaires."
Car Ashley Cain-Gribble chahute elle aussi des normes. Plus grande (1,67 mètre) et athlétique que la plupart des patineuses en compétition, les critiques acerbes sur son physique ont failli avoir raison de sa passion. "Beaucoup de personnes m'ont dit que je ne devrais pas pratiquer ce sport à cause de ma constitution, mais c'est mon corps, c'est comme ça que je suis", confie-t-elle.
"Il y a toujours un stéréotype corporel, et nous essayons définitivement de le combattre", souligne celle qui prône aujourd'hui le "body neutrality" et affirme avoir fait la paix avec son corps au terme de longues années de lutte- contre le regard extérieur et elle-même.
Pour le binôme, cultiver cette différence passe aussi par leurs costumes. Ainsi, LeDuc et Cain-Gribble arborent les mêmes couleurs et les mêmes motifs, la patineuse préférant souvent revêtir une combinaison à manches longues plutôt qu'une jupette. Un choix réfléchi et militant, tout comme leurs programmes qui s'affranchissent des figures traditionnelles : le duo se refuse à jouer la carte du romantisme fleur bleue sur la glace, grand classique du patinage en couple.
"La fille est très fragile, l'homme vient sauver la femme, ou c'est une histoire romantique de Roméo et Juliette qui est souvent racontée", développe LeDuc auprès de CNN Sport. "Il n'y a rien de mal en soi avec ces histoires, mais souvent elles sont considérées comme les seuls récits que vous pouvez dépeindre, la seule histoire qui mérite d'être un champion ou de réussir. Ashley et moi sommes juste différents", explique-t-iel. "Nous n'avons jamais été un couple romantique. Nous avons toujours voulu raconter l'égalité et avons montré deux athlètes incroyables se réunissant pour créer quelque chose de beau."
En cassant les codes associés à la masculinité, Timothy LeDuc affirme s'être libéré. "Je me sens tellement plus entier maintenant, en dehors de la virilité."
Mais sa non-binarité intrigue dans un milieu sportif qui raffole des stéréotypes de genre. Au coeur de la conversation ? Sa... barbe. Des poils, archétypes des "vrais bonhommes", perçus comme une contradiction avec son identité queer affirmée. Et là encore, LeDuc se fait pédagogue pour mieux faire entendre sa voix émancipatrice.
"Le genre et le sexe sont des choses différentes, et l'expression de genre est différente du genre", explique-t-iel. "Le genre est plus un sens interne de soi - homme, femme, les deux ou ni l'un ni l'autre. Oui, j'ai une barbe, mais en compétition, je me maquille. Je peux représenter des parties de la masculinité et de la virilité, mais je ressens également une connexion avec la féminité. C'est un processus de laisser sortir tout cela et de laisser les gens le voir."
Cette singularité a payé. Le duo a remporté sa deuxième médaille d'or aux championnats américains de 2022 à Nashville en début d'année, sécurisant ainsi sa participation aux JO de Pékin. Et si le binôme rentre bredouille de la compétition, il peut s'enorgueillir d'avoir ouvert une voie importante pour les athlètes LGBTQIA+. A Pékin, elles et ils étaient 35, un record historique pour des Jeux d'hiver.