Vous ignorez encore tout du sens du pronom "Iel" ? Ou de l'importance que revêt le fait de préciser ses pronoms de genre sur les réseaux sociaux ? Vous vous demandez ce qu'est l'asexualité au juste ? Ou pourquoi le concept d'éducation non-genrée n'a vraiment rien d'une lubie ? Cela tombe bien : les journalistes Aline Laurent-Mayard et Marie Zafimehy éclairent tout cela dans leur manuel Le genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·es.
Un livre pédagogique, accessible et bienveillant, débordant de notions et d'enjeux. Exemples et illustrations abondent pour exprimer la richesse du genre, et de sa fluidité. "Si vous ouvrez ce livre, c'est que vous voulez comprendre. Comprendre pourquoi Bilal Hassani est un homme mais qu'il aime porter des robes et des perruques, pourquoi votre fils refuse que vous offriez des jouets roses à votre petite fille, comprendre ce qu'est la non binarité", prévient à ce titre l'avant-propos.
Des questions qui importent. Les autrices nous disent pourquoi.
Marie Zafimehy : Au départ, on a surtout pensé ce livre comme un guide à destination de nos parents ou grands-parents. Puis on a compris que ces mots et réflexions intéressaient des gens de notre génération, voire même les personnes concernées. On l'a écrit avec un vrai esprit de pédagogie. L'idée était de donner les clefs aux personnes qui ont envie de comprendre les enjeux qu'englobe le genre, avec plein de références et d'exemples pour les illustrer.
Des idées de films, livres, podcasts, pour creuser un sujet spécifique. Le genre englobe tellement de définitions et de notions, qui aujourd'hui ont envahi l'espace médiatique. Et surtout, il est en perpétuel mouvement. On a besoin d'actualiser en permanence ces notions car elles changent au fur et à mesure que la société avance. Des lecteurs et lectrices nous ont dit qu'ados, iels auraient adoré avoir un tel livre entre les mains, car c'est aussi une période pleine d'interrogations sur l'identité.
Aline Laurent-Mayard : Plein de personnes LGBTQ+ étaient intéressées par le livre, puisqu'à la question du genre, de comment les gens interagissent en fonction de leur genre également. Beaucoup de personnes sont perdues en ce qui concerne ces interactions suivant l'expression de genre.
Chacun peut vivre différemment son genre. D'où l'importance d'élargir le plus possible le lectorat potentiel. C'est très vaste, ce qu'est le genre et la façon dont il influence nos vies. Beaucoup de personnes de plus vingt ans ne se reconnaissent pas dans le genre qu'on leur a assigné à la naissance, et ont envie d'explorer leur propre identité, et leur façon de l'exprimer. Cela nous concerne tous.
ALM : On a justement pris ce livre comme une super opportunité pour rappeler combien ces mots comptent. Effectivement les gens peuvent être intimidés par le foisonnement de nouveaux termes liés au genre. Il s'agissait d'expliquer ce que ces mots voulaient dire, et pourquoi ils étaient importants.
On entend souvent : "Il y a trop de nouveaux mots, ca ne sert à rien, les gens vont être perdus". Et je ne suis pas d'accord. Tous ces nouveaux mots permettent d'exprimer des réalités qui jusqu'à présent étaient tues ou impensées. La non-binarité par exemple, soit le fait de refuser d'être catégorisé·e comme "homme" ou "femme", a toujours existé, mais avant que des gens commencent à en parler à travers des formulations, on arrivait pas à le conceptualiser, à trouver les mots pour l'exprimer.
C'est en cela que ces mots aident aussi les personnes concernées. A mieux se comprendre et vivre, tout simplement. Tous ces mots ne sont pas juste une mode ou une façon de se faire remarquer, mais une manière de mieux se trouver. Plus on a de mots, plus on peut décrire la réalité et ses subtilités.
ALM : Je trouve ça important oui, mais ce n'est que la confirmation d'un usage qui existe. Larousse a fait entrer un seul usage du pronom "iel" (pour désigner des personnes non binaires) alors qu'il est également employé pour désigner des groupes mixtes, ou des personnes dont on ne connaît pas le genre. Le dictionnaire a officialisé un usage, mais pas tous ses usages.
Son emploi va donc évoluer avec le temps. Ce n'est pas parce qu'un mot entre dans le dictionnaire qu'il est figé. Ceux qui s'offusquent de l'entrée de "iel" dans le dictionnaire affichent généralement une méconnaissance de la manière dont les dictionnaires fonctionnent, dont les mots sont sélectionnés, et dont la langue fonctionne globalement. Le français et la manière dont les gens parlent ont toujours évolué. Ceux qui sont contre le sont par principe et par méconnaissance.
MZ : Il y a une méconnaissance et aussi un déni, à l'idée que le genre est une construction sociale, ce que démontrent pourtant les sciences sociales depuis des décennies. Si l'on pense que les gens sont définis par ce qu'ils ont entre les jambes, on ne peut que s'opposer à ce genre d'avancée, qui remet en cause les catégories hommes/femmes.
On s'imagine aussi que ceux qui s'offusquent n'ont jamais échangé avec les personnes concernées, ce qui leur permettrait de se rendre compte de la réalité des expériences derrière la polémique.
ALM : Clairement, la non-binarité et la transidentité inspirent beaucoup de questions aux gens, et nécessitent de prendre du temps. Pratiquement un tiers du livre est dédié à ces deux sujets. On explique donc ce qu'est le genre, pourquoi on considère qu'il est binaire dans les pays occidentaux, et ce que vivent les personnes transgenres et non-binaires à l'heure actuelle, notamment les discriminations qu'elles subissent.
La non-binarité est la nouvelle étape. On observe aujourd'hui beaucoup de fluidité à travers la manière dont les jeunes s'expriment – à savoir, de plus en de plus en s'émancipant des cases hommes/femmes. Je pense aux garçons qui se maquillent. La binarité est de plus en plus questionnée, de plus en plus nombreuses sont les personnes qui (se) pensent en dehors.
MZ : Les cases hommes/femmes sont tout de même le fondement de notre société. Les rayons dans les magasins par exemple. Une identité qui vient remettre tout cela comme la non binarité interroge forcément. Car on a toujours du mal à s'envisager en dehors de ces cases et à penser en terme de fluidité, et donc de liberté, en vivant notre identité comme on l'entend.
ALM : Une fois qu'on a convenu que la société était hyper binaire et que cela fait du mal aux gens, la question est : comment fait-on pour changer les choses ? Employer le pronom iel et respecter les personnes trans et non-binaires, leur donner plus de droits, est important. Mais aux racines des changements de notre société, on trouve toujours les enfants.
C'est à l'enfance que tous les schémas de genre se normalisent. Cela permet de s'interroger : quelles structures crée-t-on, quelle société propose-t-on aux futures générations ? Seront-elles mieux armées pour questionner le genre et s'exprimer ? A ce titre la pop culture a également un rôle à jouer, c'est pour cela qu'on cite des films et séries dans le livre.
On sait que des personnes vont se questionner grâce à l'écriture de personnages issus de séries comme Plus belle la vie, Ici tout commence... Ce qui permet d'illustrer ces enjeux de manière concrète.
MZ : Avec Aline, on blaguait souvent sur le fait que Bilal Hassani était peu l'égérie de notre manuel (sourire). En France, il est aujourd'hui l'une des stars qui incarne la fluidité, et plus encore, qui la revendique. Il a cette personnalité forte qui en fait un modèle, ou tout du moins, une représentation incontournable chez les enfants et adolescents.
Mais pas seulement ! On sait aussi que les parents et grands-parents savent très bien qui est Bilal Hassani. On le voit à la télévision, dans les magazines, il suscite des questions. On parle de lui autour de soi. C'est pour cela que c'est un exemple si éloquent.
Le genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu·es, par Aline Laurent-Mayard et Marie Zafimehy. Editions Buchet Chastel, 310 p.