Comment l'Inde va-t-elle réussir à se débarrasser du fléau du viol avec de telles déclarations ? Alors que le pays est devenu l'emblème des violences faites aux femmes depuis la mort tragique de Jyoti Singh en 2012, de nombreux responsables politiques et religieux semblent loin de supporter la cause des femmes dans ce combat. Quel que soit leur bord ou leur position, beaucoup d'hommes, mais aussi de femmes influentes, continuent de blâmer les victimes plutôt que les coupables et s'autorisent même à avancer les motifs les plus douteux pour expliquer les causes de ce sinistre phénomène.
Dernier épisode en date, une publicité anodine pour des préservatifs qui vient d'être censurée à la demande de l'ancienne présidente de la commission pour les femmes de Dehli, Barkha Shukla Singh. Cette courte vidéo, où l'on peut voir l'ex actrice porno indo-canadienne Sunny Leone vanter les mérites d'une marque de préservatifs, est pourtant loin de faire l'apologie du viol. Mise en scène dans un bikini et une chemise blanche classique, la jeune femme se contente de séduire du regard son potentiel partenaire.
Mais pour Barkha Shukla Singh, ce serait exactement le genre de comportement qui pousserait les hommes à agresser les femmes. Révoltée par l'image sexy que véhicule l'ex actrice de X Sunny Leone, elle déclare alors à la télé nationale :
"La technique minable, horrible et immorale dont l'actrice se sert pour séduire et provoquer sexuellement cet homme dans cette pub, ne représente rien d'autre que de se mettre au service de l'immoralité et des mauvaises pratiques".
Par "mauvaises pratiques", l'ancienne responsable politique veut bien évidemment parler du viol. Et Singh n'est pas la seule à protester. Peu après sa sortie dans les médias, un membre du parti communiste, Atul Anjan, est également monté au créneau :
"Cette publicité est tellement dégoûtante et immonde. Elle développe la sexualité et détruit la sensibilité", avant de conclure en affirmant qu'une vidéo pareille serait purement et simplement un encouragement à agresser et à violer.
L'homme torse nu n'est évidemment pas pris à parti et la publicité a rapidement été censurée. Mais s'il n'y avait que ça...
Dans un pays où le végétarisme est légion et où les vaches sont apparemment plus sacrées que le corps des femmes, manger de la viande est extrêmement mal vu. Oui mais de là à accuser les carnassiers d'être des agresseurs en puissance, il ne faudrait tout de même pas pousser...
C'est pourtant la curieuse conclusion à laquelle est arrivé Vinay Bihari, ministre de l'Art et de la Culture de l'état du Bihar, l'année dernière :
"Les gens qui mangent de la nourriture non-végétarienne comme le poulet ou le poisson sont plus enclins à devenir des agresseurs et des violeurs".
Même son de cloche du côté de l'un des chefs de ces ignobles conseils locaux (illégaux mais toujours actifs), Jitender Chhatar, qui n'a pas hésité à pointer du doigt les spécialités d'origine chinoise :
"La nourriture chinoise conduit à un dérèglement hormonal qui pousse à ce genre d'actes".
Mais il n'y a pas que la viande qui ferait déraper les hommes, selon le ministre Vinay Bihari. Pour lui, la modernisation et la diffusion du mode de vie à l'occidental serait responsable de nombreux maux de la société indienne. Première avancée technologique à bannir selon lui, le téléphone mobile :
"Beaucoup d'étudiants utilisent leur téléphones portables pour regarder des films obscènes, qui polluent leur esprits."
Alors que de nombreuses Indiennes considèrent leur téléphone portable comme l'ultime moyen de se défendre en cas d'agression, cet homme d'état influent semble pourtant partisan de sa suppression pure et simple. D'ailleurs, le mélange des cultures n'apporterait rien de bon selon Nischalananda Saraswati, un puissant chef religieux hindou :
"Les accidents horribles comme celui du viol en réunion de New Delhi n'arrivent pas par hasard. Cela s'est produit car nous avons transgressé les règles imposées dans notre culture, au nom de la modernisation et du développement".
Des affirmations insupportables, surtout quand il continue sa diatribe en expliquant que les femmes vêtues d'un costume traditionnel ne risquent pas de se faire agresser, contrairement à celles qui aiment suivre la mode et mettre des jeans. Encore et toujours la faute des femmes...
Elles ne seraient d'ailleurs pas toujours victimes selon Ram Sewak Paikra, ministre responsable de l'état du Chhattisgarh :
"Personne ne viole délibérément, ce genre d'incidents sont des accidents."
Pas sûr que ce goujat misogyne ose déclarer la même chose aux parents de Jyoti Singh. Transportée à l'hôpital pour y mourir quelques jours plus tard, il ne lui restait alors plus que 5% de son intestin après avoir été violée à l'aide d'une barre de fer rouillée...
Si celui-ci parle "d'accident", Abu Amzi, président du parti socialiste de l'état du Maharashtra, va encore plus loin en déclarant :
"Les femmes ne sont pas victimes, seulement les hommes. Toute femme, mariée ou non, qui aurait des rapports avec un homme, avec ou sans son consentement à elle, devrait être pendue."
Si Jyoti Singh n'était pas morte, voilà donc ce qu'elle aurait mérité selon cet homme politique indien très influent.
Des discours extrêmistes qui donnent le ton. Malgré quelques initiatives timides pour faire avancer la cause des femmes, le gouvernement semble loin d'être au point sur le sujet. Il faudra certainement encore de longues années et plusieurs générations, pour leur permettre d'identifier les véritables causes de cette catastrophe.
Système de castes, pauvreté rurale, éducation et infanticide féminin, voilà plutôt sur quoi les politiques devraient travailler s'ils espèrent un jour sortir l'Inde de ce schéma dramatique.