Il y a quelques mois, une trend a émergé sur TikTok : la "Hot Girl Walk". Un concept qui n'a pas grand-chose de révolutionnaire, qu'on se le dise, mais qui prônait une routine aussi simple que saine - physiquement et mentalement.
Le principe est simple : plutôt que de foncer tête baissée dans sa journée en choisissant la facilité et le moindre effort niveau transport (ce qui est tout à fait compréhensible par ailleurs), ses adeptes encouragent à s'accorder de longues minutes de marche écouteurs vissés sur les oreilles, à écouter une playlist qui donne envie de conquérir le monde. Tout ça, en pensait à "ce pour quoi vous êtes reconnaissante, à quel point vous êtes sexy, vos objectifs et les mesures à prendre pour les atteindre", décrivait l'instigatrice de la tendance, Mïa Lind, sur le réseau social. Ca donne envie.
Au-delà d'observer un phénomène devenu viral en ligne, c'est un constat plus global que l'on peut faire autour de la discipline. Depuis quelques années - la fin du confinement, précisément, rapporte Le Monde - de plus en plus de marcheuses, de randonneuses se découvrent une passion pour ce sport aussi accessible que revitalisant. Mais pas seulement : pour beaucoup, c'est aussi un geste politique, écologique et vraisemblablement féministe, que de tracer le sentier sans autre véhicule que ses pieds. Témoignages.
Tiffany a commencé à "beaucoup marcher" à la fin du premier confinement. Originaire d'Annecy, en Haute-Savoie, cette jeune femme de 34 ans est retournée "se réfugier" chez ses parents le week-end du 15 mars, à l'annonce des premières mesures de distanciation sociale du gouvernement. "Je n'envisageais pas de passer ne serait-ce que trois semaines enfermée dans mon 30 m2 parisien", nous confie-t-elle par téléphone. Elle n'est plus repartie.
S'il fallait décrire ce qu'elle ressent quand elle avance sur les chemins des massifs qui l'entourent, que dirait-elle ? "C'est une vraie sensation de libération. A la fois je me dégourdis le corps, à la fois je fais le vide. Et j'ai aussi l'impression, rando après rando, de gagner confiance en moi rien qu'en poussant mes capacités. J'ai débuté par des sessions courtes et faciles, et maintenant je peux marcher des heures".
Un sentiment d'émancipation par l'exercice qui n'est pas isolé, observe l'écrivaine Annabel Abbs dans les colonnes du Monde. "L'histoire regorge de femmes invisibles pour qui une marche en pleine campagne était une nécessité quotidienne. Mais dans les guides de voyage inédits et épuisés, les lettres et peintures ayant survécu, j'ai également découvert des femmes parties marcher en quête d'inspiration, de consolation et de libération", confirme-t-elle.
Une activité qui se pratique de plus en plus en groupe d'amatrices. C'est le cas de Lila, 36 ans, qui a monté un "J'ai rencontré d'autres femmes qui, comme moi, avaient envie de se défouler mais ne savait pas trop quel sport choisir. Alors on a décidé de se réunir pour marcher." Cette Normande nous raconte qu'elles parcourent les bords de mer, les forêts, les chemins de campagne une fois par mois, et élaborent l'itinéraire sur un groupe WhatsApp pour que chacune puisse participer au projet. Sororal, à n'en pas douter.
"Ce qui est bien avec la marche, c'est que tous les niveaux peuvent s'y mettre. Qu'il n'y a pas forcément d'idée de compétition, de quête éreintante de la performance. On peut simplement profiter d'un moment ensemble, autour d'un projet commun qui allie aussi l'appréciation de l'environnement". Est-ce en cela que c'est féministe ? "Oui, et aussi parce qu'on se retrouve en non-mixité, dans la nature, loin de tout schéma de domination", poursuit Lila.
Un effort collectif qui ne plait cependant pas à toutes. D'autres, préfèrent fouler le sol en solitaire.
"Quand je marche, j'en profite pour méditer". Solène, 40 ans, n'aime pas particulièrement la compagnie lors de cette séance qu'elle se réserve de façon hebdomadaire. C'est son "moment à soi", qu'elle chérit et attend même avec impatience chaque semaine. "Je pars deux bonnes heures, sans musique, et je me ressource en me concentrant sur mes pas, sur ma respiration, sur le paysage. Et en essayant surtout de laisser mes pensées glisser".
Attachée de presse pour une grosse marque d'équipement outdoor dans une ville frontalière de Genève, elle est entourée de sportif·ves qui ne jurent que par les expériences extrêmes. "Je n'ai jamais aimé ça", nous confie-t-elle. "Mon truc, c'est le calme, le rythme lent de la randonnée, avoir le temps de dire 'bonjour' aux personnes que je croise sur les sentiers". Celui de se recentrer sur elle, aussi, et de "relâcher la pression pour se reconnecter à l'essentiel", loin du brouhaha de la ville ou des actualités qui l'"oppressent". Un sentiment partagé par Tiffany.
Au fil de notre discussion, on entend que la voix de Solène coupe. "Je suis en montagne, j'ai vu sur le lac Léman de là où je me trouve", nous répond-elle quand on évoque des problèmes de réseau. Alors, l'espace d'un instant, depuis notre open-space bondé des Hauts-de-Seine, on soupire en s'imaginant, nous aussi, tout quitter pour parcourir des kilomètres dans la grandeur des Alpes.
Et comploter pour démanteler le patriarcat, tout en se réjouissant d'entendre les feuilles d'automne crisser sous nos pas.