Dès son arrivée au palais de l'Elysée ce samedi 7 mai pour la cérémonie d'investiture d'Emmanuel Macron, Roselyne Bachelot a suscité des ricanements. Pensez-vous, la ministre de la Culture portait de la couleur. Un éclatant ensemble vert qui flamboyait au milieu d'un océan de costumes uniformément noirs. "Y a Elton John qui arrive !" se seraient même esclaffés des maires LR et les ex-ministres PS Marisol Touraine et Manuel Valls, apprend-t-on du côté du Parisien.
Ni une, ni deux, les "blagues" et les memes rigolards n'ont pas tardé à affluer sur Twitter, cette puissante machine à humilier. On y compare la ministre au "bonhomme Cetelem", à un Stabilo, à la mère de l'ogre Shrek. Dans cette vaste cour de récré misogyne, on cherche à se faire valoir, à créer le "buzz" en écrasant l'autre. Et on se paie une bonne tranche de rire oppressif sur le dos des femmes, cibles privilégiées. Hilarant... ou pas.
Car sous couvert d'humour taquin, c'est une fois encore la fashion police sexiste qui est à l'oeuvre. Ce regard féroce qui scrute, moque, critique le corps des femmes et par extension leur tenue. Trop courte, trop moulante, trop couvrante, trop "voyante"... Jamais convenable. Avec en creux cette volonté de les contrôler, les empêcher de s'émanciper. De nombreuses élues ont fait les frais de ce sempiternel jugement. Parmi elles, Cécile Duflot. L'ancienne ministre de l'Égalité des territoires et du Logement de François Hollande en 2012 avait subi les foudres de la doxa vestimentaire en s'affichant lors d'un Conseil des ministres. Elle avait également été sifflée dans l'hémicycle pour avoir eu le malheur de porter une robe.
C'est donc en connaissance de cause qu'elle a tweeté ce samedi : "Pas unpopular, j'aime beaucoup. Et non seulement Roselyne Bachelot porte ce qu'elle veut mais en prime - et je n'ai pas oublié, elle est une des rares à m'avoir défendue pour le jean au conseil des ministres (désormais banal et même porté par B. Macron sur son portrait officiel...)".
Autre victime de ces jugements péremptoires sur son apparence, la pourtant très "sobre" Edith Cresson, seule femme Première ministre en France il y a 30 ans. Elle se souvient : "Les critiques portaient sur "pourquoi elle a les chaussures comme ça ?", "pourquoi elle porte un bracelet ?", c'est mon mari qui me l'avait donné, j'avais le droit de le porter. Et j'avais un look très classique, il suffit de regarder les photos, je ne sais pas comment il faut s'habiller, se coiffer, pour que ces gens-là ne critiquent pas. Donc une femme est un objet pour eux", déplorait-t-elle dans une interview Brut de 2021.
Comme le souligne la sociologue Éléonore Lépinard, professeure associée en études de genre à l'Université de Lausanne, dans une interview au journal Le Temps, "demander aux élues de trouver une tenue 'respectable' revient à les soumettre à une injonction impossible. La politique est un métier de séduction. Sous le regard des médias et du public, n'importe quel micro-détail peut prêter à une sexualisation. Même en étant habillées comme un homme, les femmes courent le danger d'être ramenées à leur corps."
Sous les dorures de l'Elysée comme sur les bancs de l'école (où l'on fait la chasse aux crop tops), ces vieux réflexes sexistes perdurent et poussent à s'interroger : quand foutra-t-on enfin la paix aux femmes ?