Tout est parti d'un commentaire sexiste du député indien Tirath Singh Rawat. Le 17 mars dernier, lors d'un atelier pour la protection des droits de l'enfant à Dehradun (au nord de l'Inde), l'homme politique a partagé sa consternation à propos de la tenue d'une citoyenne rencontrée durant l'un de ses vols – par ailleurs dirigeante d'une ONG, selon ses dires. La passagère en question arborait un jean troué. Une tenue aussi improbable qu'immorale selon Tirath Singh Rawat, qui a réagi en notant que ces jeans "ouvraient la voie à l'effondrement de la société".
Il n'en fallait pas plus pour échauder les réseaux sociaux. Dans les heures qui ont suivi ces déclarations (relayées par les médias), les publications d'anonymes valorisant les mêmes bouts de tissu déchirés sont venues déferler sur la Toile. Comme une forme d'activisme digital collectif et décomplexé. Tant et si bien que ce marqueur fashion est (re)devenu subversif. Il était déjà synonyme de révolution au sein du mouvement grunge des années 90, ou même à travers le mouvement punk qui le précédât de deux décennies.
Mais les citoyennes indiennes en font un emploi plus actuel, à savoir ouvertement féministe et transgressif. Le jean troué devient sur les plateformes sociales une sorte de drapeau de protestation à l'encontre des institutions politiques et de leurs représentants, un mot-clé en évidence : #RippedJeans ("Jean troué"). Enthousiasmant.
Plus encore, le site universitaire The Conversation voit là un "pouvoir de protestation", ni plus ni moins. Et qui ne daterait pas d'hier. L'Inde a ainsi l'habitude d'utiliser les vêtements pour véhiculer un message politique. En 1903, le Nizam d'Hyderabad ("l'homme le plus riche d'Inde en cette époque") arborait ainsi un costume occidental face aux leaders britanniques afin d'agacer l'administration coloniale britannique. Un geste déjà punk dans l'idée.
Introduits en Inde dans les années 1970, les jeans représentaient, à l'inverse, une forme de fascination conformiste pour la culture occidentale, et notamment pour la culture impérialiste américaine, ses fringues comme ses divertissements divers. Mais les jeans troués génèrent une signification tout à fait différente, symboles de la dissidence et à la contestation. Notamment parce que leur mise en avant actuelle est une réaction directe au sexisme ordinaire, mais aussi au patriarcat et à son pouvoir de nuisance. Et, entre autres, aux injonctions faites aux femmes, et aux mères.
"Les jeans déchirés ouvrent la voie à la rupture sociale et sont un mauvais exemple que les parents donnent aux enfants", aurait ainsi déclaré l'homme politique. Même si, selon son épouse Rashmi Tyagi, le ministre aurait avant tout dénoncé "la façon dont nous reproduisons aveuglément la culture occidentale", comme le rapporte The Independent.
Fâcheux quiproquo tout de même.
"La culture et les traditions de notre pays sont toujours influencées par les hommes qui jugent les femmes et leurs choix", a fustigé en retour la membre du Parlement Priyanka Chaturvedi. "Je suis une mère et je porte des jeans troués", a réagi à l'unisson une citoyenne anonyme. "Merci M. Rawat pour l'inspiration !", ironise encore une autre citoyenne, selfie et jeans troués à l'appui. Sur Twitter, les messages sororaux abondent en ce sens.
"Je suis une femme politique. Je porte un short. Je peux porter ce que je veux, je peux manger ce que je veux. Je peux boire ce que je veux. Personne ne décidera pour moi !", affirme de son côté la congressiste Radhika Khera l'espace d'une publication abondamment relayée. Une manière de rappeler qu'en Inde, il y a bien plus inquiétant pour la vie des femmes que leur choix de garde-robe. Ou quand la mode se fait politique.