Un chirurgien alcoolique s'effondre lorsque l'amour de sa vie le quitte pour un autre. Ça, c'est l'histoire de Kabir Singh. Un pitch très classique : le film en question est même le remake d'un autre, Arjun Reddy. Mais quelque chose ne passe pas avec cette production Bollywood signée Sandeep Vanga.
Tout du moins, à en lire la presse indépendante, qui insiste sur le comportement machiste du protagoniste - le fameux Kabir Singh, donc. Un antihéros volontiers violent envers les femmes, mais dont les "défauts" seront finalement acceptés : cela fait partie de sa personnalité. "C'est épuisant, mais pour la millième fois: ce n'est pas le rendu d'une certaine réalité qui est répréhensible ici", décoche par exemple la journaliste Anna Vetticad, mais le fait "que le film décrive Kabir comme quelqu'un de cool, de drôle, un homme 'de bon coeur' qui 'aime purement'".
La critique de cinéma Samiksha Pattanaik, elle, s'en indigne ouvertement : "Quand un amour obsessionnel est dangereux en soi, pourquoi finissons-nous par glorifier les hommes qui affichent de tels comportements? Si une partenaire obsessionnelle est considérée comme "folle", pourquoi ce trait de caractère est-il toujours romantisé lorsqu'il s'agit d'un homme ? C'est terrifiant de voir la foule applaudir les crises de colère et les singeries misogynes de Kabir Singh".
"Avec ce film, nous démontrons qu'adopter un comportement autodestructeur n'a rien de bon, que ce soit pour vous ou vos proches. Nous ne glorifions d'aucune façon cette attitude. Il ne faut pas faire ce que fait Kabir", a cependant rétorqué l'actrice Kiara Advani. Selon la comédienne, il faut voir en cette romance "une histoire d'amour passionnée, intense et brute". Kabir n'est pas un amoureux obsessionnel. "C'est un amoureux surprotecteur" affirme-t-elle. Mieux encore, "un amoureux éperdu". Rassurant ?
Pas vraiment. Il faut croire que l'amour destructeur n'est pas simplement une caractérisation, il est une culture - un mode de pensée à ce point généralisé qu'il n'étonne presque plus. Et n'en finit pas de faire fantasmer. A lire Kiara Advani, Kabir est un amoureux "passionnel". Et l'on ne compte plus le nombre de films, plus hollywoodiens que bollywoodiens, à envahir les multiplexes en propageant cette glorification de "l'amoureux surprotecteur". Il suffit de réfléchir deux secondes aux comportements des mecs - chelous, stalkers ou simplement toxiques - qui hantent notre dvdthèque : Tom Cruise dans Cocktail, Ben Stiller dans Mary à tout prix, Andrew Lincoln dans Love Actually. Ou de penser aux succès récents les plus emblématiques, comme celui de A Star Is Born, "un récit qui normalise les relations toxiques et perpétue le fait qu'une femme est en quelque sorte responsable du bien-être personnel et professionnel de son partenaire", déplore le pureplayer Nylon.
La comédie romantique regorge de ces "grands amoureux" à l'attitude creepy au possible, et au fond, cela ne choque pas grand monde. Preuve de cette banalisation, Kabir Singh, sorti le 23 juin en Inde, a connu un joli score au box office national en engendrant 708 millions de roupies (soit 10 millions de dollars) en seulement trois jours d'exploitation.
"Est-il possible pour les réalisateurs de montrer de tels hommes sans glorifier la masculinité toxique? [Après #MeToo], les réalisateurs doivent-ils prendre des leçons et changer leur façon de concevoir leurs personnages masculins et féminins ? Peut-on vraiment justifier cela en affirmant qu'il existe des hommes comme celui-ci en vrai ?", s'interroge le site India Today. Des questions plus que légitimes.