" Me dis pas NAN ME DIS PAAAAAS ! " Depuis quelques temps, le lundi matin, ils sont nombreux à pousser de petits cris à l'heure du gobelet et de l'habituel ronronnement post-week-end qu'il était autrefois de bon ton de maintenir jusqu'au mardi. " Alooors ? C'était comment ? GÉNIAL ? Nan ! Oh j'ai envie de rentrer chez moi TOUT DE SUITE ! "... Alors que la bande de ceux " qui en sont " partage, rit à gorge déployée, s'excite, le non GOTien souffre en silence derrière son écran, buvant sa honte plutôt qu'un café, et cherche du regard un antédiluvien adepte de Zone Interdite comme lui. Las, son groupuscule se réduit chaque jour davantage. Il est seul. Le mardi, rebelote avec la diffusion française.
La souffrance au travail a désormais un autre visage, celui d'une secte nouvelle dont les membres tout-puissants, persuadés de faire partie d'une élite, divisent sans pitié. Ceux qui savent savent, les autres sont marginalisés.
" Got " ? " Have you got " ? Gothique ? Des jours durant, l'exclu s'est posé la question, tel un quadra confronté à de rigolards ados s'interpellant dans un langage incompréhensible. Jusqu'au jour où, n'y tenant plus, il s'est lancé : " Euh... c'est quoi, GOT ? " Les regards empreints de mépris des uns, la pitié, la haine parfois, puis le rejet lui auront fait regretter cette fatale erreur. Une bonne âme aura eu beau lui apprendre que " GOT " signifiait " Game of Thrones ", qu'il continue par ailleurs à prononcer " Srone ", l'exclu de la secte vivra pour toujours avec cette impression de s'être trompé d'époque. Sur son front, " ringard " clignote tel un néon de Motel.
ATTENTION SPOILER ! Sur Facebook, dans tous les médias online (dont le nôtre), chaque jour, chaque heure, les injonctions plus ou mois aimables à fermer sa gueule sautent au visage du novice. Inlassablement confronté à ces menaces à peine déguisées, à ce vocabulaire de la terreur, notre marginal du petit écran est poussé au silence, plein d'une culpabilité grotesque puisqu'il ne sait rien, rappelons-le. Horrifié à l'idée de mal faire (en plus d'être ringard et exclu), l'inadapté cathodique n'a alors plus aucune chance d'intégrer cette société nouvelle, réduit à l'inaction par ce gouvernement de la censure.
" Tu regardes GOT ? " NOOOON, Non non, je ne sais RIEN je le JURE !
Un nain barbu, des dragons chelous, d'évanescentes Dames Frénégonde arborant une chevelure d'un autre âge, roulottées torsadées comme dans les années 2000... L'aficionada de Sex and the City et autres Gossip Girl est désarmée. Que faire de cette série où l'on se vêt de vieilles toiles de jute cintrées au cordage de bateau ? Comment roulotter-torsader sa crête à la Miley qu'on vient de copier sur celle qu'on croyait prescriptrice de tendances ? Si l'on ajoute à ce mauvais goût patenté la présence de licornes de poster, d'une recrudescence de raies au milieu, de mèches grassouilles et de boucs eighties, on aura vite compris l'objectif de nos malveillants amoureux de la Fantasy : se venger des populaires fans de Melrose Place de leur adolescence. C'est moche. Reviens, Amanda Woodward !
Et si tout ce complot n'avait d'autre objectif que d'éradiquer complètement la planète de tout non-GOTiens ? Certes, à certaines époques, il eût été impensable d'avouer en public n'avoir jamais vu Le Parrain, avoir détesté Pulp Fiction, s'être endormi devant Usual Suspect ou ne pas bien comprendre l'intérêt de 24 Heures, les dérives sectaires de GOT prennent aujourd'hui des proportions bien plus alarmantes. Et si, dans un premier temps, l'ostracisé a planqué sa condition, aujourd'hui, sa colère gronde. La GOTophobie prend de l'ampleur, faisant chaque jour plus d'adeptes qui n'en peuvent plus d'être ainsi écartés d'une société à laquelle ils ne comprennent plus rien.
Sachez-le, personne ne vous force à commencer. N'en regardez pas " juste un petit " pour avoir l'air cool.
" Je ne regarde pas Game of Thrones ". Dites-le, n'ayez pas honte, et tenez bon. Vous n'êtes plus seul.