C'est un happening qui est parvenu à décontenancer Marina Foïs, pourtant loin d'être à court de répartie tranchante. Lors de la dernière cérémonie des César ce vendredi 12 mars, riche en commentaires virulents à propos du sort (critique) réservé à la Culture en temps de couvre-feux, la comédienne Corinne Masiero s'est dévêtue. Plus précisément, l'actrice et militante, notamment connue pour son rôle de Capitaine Marleau, est arrivée dans un superbe costume de Peau d'âne avant de le retirer. L'audience a pu alors observer les slogans inscrits sur son corps.
Parmi ces inscriptions, l'éloquente "Rends-nous l'art, Jean !". Un message directement adressé à Jean Castex. Et, pourrait-on présumer, à l'actuelle ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. Mais ces discours ont hélas été ignorés sur les réseaux sociaux, les voix les plus virulentes préférant fustiger cette performance jugée obscène. Entre séquence gore, nu politique et geste punk, l'initiative de Corinne Masiero n'a laissé personne indifférent.
Tant et si bien que dans l'espace commentaires de la séquence diffusée sur Canal +, les piques misogynes s'accumulent. "Lamentable image : Aucune allure, aucune classe, que de la crasse", "Intervention vulgaire qui dessert la cause qu'elle prétend défendre", "Masiero s'était shootée avant de monter sur scène ?? quel spectacle décadent !", peut-on notamment lire. De quoi constituer un véritable bingo de la boomer attitude.
Par-delà les noms d'oiseaux décochés par des anonymes, même les médias y vont de bon train. Ainsi la revue culturelle Transfuge s'offusque-t-elle d'un "féminisme radicalisé", composante parmi d'autres d'une cérémonie des César "malade" pleine de "consternation". Bien souvent, les opinions des détracteurs (volontiers masculins) usent d'un même argumentaire : la performance de la comédienne serait "décadente", incomparable avec la classe des "grandes" d'antan, l'opposé d'une tradition française chic, un concentré de vulgarité, de l'indécence pure...
Mais au fond, il n'y a pas à chercher bien loin pour comprendre ce qui dérange tant les regards désapprobateurs. "Les mecs qui sont choqués et insultent Corinne Masiero sur son physique, vous êtes minables. Les corps nus de femmes vous dérangent uniquement à partir du moment où ils ne sont plus suffisamment sexualisés et excitants à vos yeux pour projeter vos fantasmes dégueulasses dessus", cingle en ce sens une internaute.
Ensanglantée, insoumise aux diktats traditionnels, mise en scène d'une façon revendicative, la nudité de Corinne Masiero prend le contrepied du "male gaze", ce regard masculin qui, au cinéma par exemple, sexualise le corps des femmes, alors objets de désir. En somme, c'est une nudité qui n'est ni polie, ni policée, et arbore littéralement sur elle des discours vindicatifs. En cela, le happening de l'actrice est à rapprocher de ceux des militantes Femen. C'est aussi cette absence totale de consensualité (et de sensualité tout court) qui dérange autant.
A l'inverse, certaines voix soutiennent le geste. "Au risque de me mettre tout le monde à dos, je voudrais saluer le courage de Corinne Masiero lors de la cérémonie des César. Bien sûr que la culture n'est pas le seul secteur à souffrir de la Covid mais les César, c'est le cinéma : où dire mieux que le secteur est à poil ?", avance ainsi l'économiste Julia Cagé. D'autres paroles politiques et militantes, comme celles de la députée Clémentine Autain, voient là "l'art de militer".
En détournant des symboles glamour (la Catherine Deneuve de Peau d'âne) et en transformant son corps en outil de protestation, témoignant de l'état alarmant de la Culture en temps de pandémie, Corine Masiero a délivré un geste intensément féministe. Aux César, elle s'est ainsi permise de rappeler sans l'énoncer le fameux adage du Mouvement de libération des femmes : "L'intime est politique". Ce soir là, il le fut plus que jamais.
Au grand dam de ceux qui n'acceptent pas encore que l'art le soit toujours un peu - politique.