"OK Boomer". La magie du web aidant, deux mots suffisent désormais à résumer le conflit des générations. D'un côté, Chlöe Swarbrick, députée de 25 ans, défendant la cause climatique au Parlement néo-zélandais le 5 novembre dernier. De l'autre, son assistance, constituée d'individus plus âgés. Peu au fait de l'urgence écologiste, l'un de ces hommes politiques s'est permis d'huer l'oratrice en plein discours. Bien mal lui en a pris. Pour lui clouer le bec, Chlöe Swarbrick lui a simplement décoché : "OK Boomer". Une répartie cinglante comme une punchline de rap mais qui a beaucoup, beaucoup à dire.
"Boomer", pour "baby boomer", à savoir les darons et daronnes né·es entre 1945 et 1975. Ceux-là même qui ne se privent jamais de juger leur relève, de leurs habitudes de consommation à leur pratique des réseaux sociaux. En oubliant un peu trop vite leurs propres responsabilités face à la situation climatique, économique, politique. En ce sens, "OK Boomer" est l'équivalent politisé d'un "Cause toujours, tu m'intéresses". Le pendant fédérateur d'un "parle à ma main" (pour les nostalgiques de Fatal Bazooka) asséné par une jeunesse bien décidée à "tuer le père". Et sans grand étonnement, cette accroche d'une génération connectée - à l'adresse de celle qui ne l'est plus depuis bien longtemps - a déclenché les passions sur le web.
"OK Boomer" serait d'ailleurs né sur le web. Comme le rappelle Numerama, une page historique du site spécialisé Know your Meme date cette réplique virale au mois d'avril 2018. Entre quelques posts sur les réseaux sociaux, cette répartie pour teenagers et post-ados s'est affirmée sur le réseau social TikTok, où pullulent les vidéos incisives rappelant l'âge d'or de Vine.
Au fil des tweets, "OK Boomer" s'affirme comme le meilleur moyen de tourner en dérision les préjugés dont la génération actuelle fait l'objet. Vous savez, ces discours de vieux croûtons qui veulent nous faire croire que les "kids" ne savent plus se servir d'un livre, n'interagissent que par tablettes interposées et seraient de bêtes zombies dépourvus de toute conscience activiste, lobotomisés par la télé réalité, YouTube et le consumérisme ambiant.
Des croyances plutôt déplacées à l'heure où les jeunes manifestants du mouvement Youth for Climate - pour ne citer qu'eux - envahissent les rues dans l'espoir d'un monde meilleur, stimulés par les convictions et le charisme de Greta Thunberg, écologiste déjà iconique de seize printemps.
Mais dans le genre oeil pour oeil dent pour dent, la génération Z (née après 1995) a beaucoup à balancer à la génération X, celle-là même qui lui reproche d'ignorer ce qu'est "le vrai monde". Comme ses vols d'avion, sa technophobie, sa perte d'idéaux, sa réaction d'autruche lorsque l'on souffle les mots "réchauffement climatique" ou "couche d'ozone", ses opinions politiques conservatrices - de celles qui ont permises à Donald Trump de devenir l'un des hommes les plus puissants au monde. En octobre, le New York Times l'affirmait déjà : "OK Boomer" marque la fin des relations amicales entre les deux générations. D'un côté, difficile de tendre l'autre joue quand les "boomers" n'ont pour eux qu'un cynisme angoissé.
A l'image de Michel Onfray par exemple, qui dit de Greta Thunberg que "sa plume sent trop le techno", que son intelligence est "artificielle" et son visage similaire à celui "d'un cyborg". Références aux nouvelles technologies, tentative de décrédibiliser la jeunesse écologiste, sexisme de vieux réac ("C'est une jeune fille au corps neutre et à la parole belliqueuse", écrit-il), tout y est. L'on pense aussi à l'inénarrable Alain Finkielkraut, adepte du "taisez vous !" jamais avare en sermons quand il s'agit de "cerner" la militante. Pour le philosophe, Greta Thunberg est une "enfant malléable et influençable" à la "parole puérile" qui ne fait qu' "exiger la grève des cours". L'on s'en doute, malgré sa conscience écolo aiguisée, l'adolescente a peu à faire de ce naufrage qu'est Alain Finkielkraut.
Précisons-le cependant, pas besoin d'avoir cinquante ans ou plus pour qu'un "OK Boomer" vous coupe la chique. Effectivement, "cela ne correspond pas forcément à l'âge de la personne mais à l'âge de son raisonnement", comme le définit très bien une internaute. C'est d'ailleurs ce qu'explique avec pertinence cet article du site Mashable : "OK Boomer" n'est pas une phrase discriminante et âgiste, mais une invitation à voir beaucoup moins de Donald Trump et beaucoup plus de Jane Fonda". L'évocation de Jane Fonda, qui, entre deux arrestations, se dit très "inspirée" par Greta Thunberg, est tout sauf anodine.
Dit comme ça, "OK Boomer" est un appel à la contestation qui rassemble, face à l'inaction qui divise. Un "réagissez, agissez" à l'adresse de celles et ceux qui ne vouent à la jeunesse engagée aujourd'hui qu'un rétromaniaque "c'était mieux avant". Et quoi de mieux que la provocation taquine pour susciter cette remise en question nécessaire ?
D'ailleurs, certains baby boomers l'ont bien compris. Tel cet éditorialiste du magazine Newsweek pour qui cette punchline en appelle aux grands changements de demain et déglingue une nostalgie moribonde.
"Quand j'étais plus jeune, les générations plus âgées disaient déjà que nous passions trop de temps à écouter de la musique ou que nous ne comprenions pas la valeur du travail acharné", s'amuse le journaliste avant de l'admettre : "Le monde d'aujourd'hui est confronté à de grands défis. Nous ferons tous un meilleur travail pour résoudre ces enjeux en travaillant tous ensemble". Prétendre l'inverse serait insensé. Car comme l'affirme ce billet Medium, "Si "OK Boomer" vous rend fou, c'est que vous faites partie du problème".
Phénomène oblige, certains "Z" n'hésitent désormais pas à surfer sur la vague. A l'instar de la jeune Shannon O'Connor, qui, comme le révèle la BBC, a gagné pas moins de 25 000 dollars en se contentant de commercialiser un t-shirt portant la phrase: "OK Boomer". Comme tout slogan qui claque, ces deux mots se diffusent désormais sous la forme de badges, de stickers ou encore d'étuis pour téléphones. Mais Shannon O'Connor n'insiste pas sur la dimension un brin mercantile de cette réappropriation. Non, elle préfère porter aux nues la puissance symbolique de cette assertion déjà culte, propice à contrer ces baby-boomers qui "rabaissent et critiquent".
Porte-parole de sa génération, la jeune femme répond d'ailleurs aux baby-boomers furibards : "Nous allons faire de grandes choses en dépit de ce [qu'ils pourraient] penser de nous". Fièrement, elle l'affirme : "Nous avons trouvé notre voix et nous l'exprimons". OK, boomer ?