Elles sont de plus en plus nombreuses. En l'espace de 11 ans, le nombre de personnes sans domicile fixe en France a doublé, d'après des chiffres de l'Insee. Parmi elles, 38% sont des femmes.
Pourtant, on les voit peu. Cachées, recluses dans des parkings, des bus de nuit ou des bouches de métro pour échapper aux vols et aux agressions, ces femmes trouvent parfois refuge dans les centres d'hébergement.
C'est précisément dans ce cadre que se déroule l'action du nouveau film Les Invisibles, de Louis-Julien Petit, en salle depuis le 9 janvier, et qui enregistre déjà 302969 entrées dans 311 salles pour son premier week-end.
Cette comédie sociale à la frontière du documentaire s'inspire du livre de Claire Lajeunie Sur la route des invisibles, femmes dans la rue, publié en 2015 aux Éditions Michalon.
"Quand j'ai rencontré Claire, elle m'a confié qu'elle avait beaucoup ri au contact des femmes qu'elle avait rencontrées. Cela m'a interpellé car je me suis demandé comment on pouvait rire d'un tel sujet. Claire m'a conseillé d'aller dans ces centres, et c'est comme ça que le projet du film a démarré", nous confie Louis-Julien Petit.
Un travail qui a demandé trois ans d'investigation au cinéaste, dont une année entière passée dans des centres d'accueil à Arras, à Grenoble et à Paris, à la recherche de "ses invisibles".
"J'y ai rencontré une centaine de femmes, à qui j'ai fait passer une sorte de casting, avec des ateliers théâtre. Je cherchais avant tout des personnalités, des femmes qui sauraient incarner les personnages que j'avais écrit pour elles", explique le cinéaste.
Le résultat est plus que réussi. Ces femmes, qui ont toutes vécu dans la rue à un moment de leur vie, incarnent avec brio et une sincérité touchante les personnalités de Lady Di, Brigitte Macron, Catherine Lara, Chantal Goya... des noms d'emprunt pour conserver l'anonymat.
Chaque jour, elles se retrouvent dans le centre d'hébergement (fictif) L'Envol, dans le Nord-Pas-de-Calais pour un moment au chaud, un repas, une douche ou un atelier théâtre au cours duquel elles se confient, partagent leur expérience, se soutiennent les unes les autres.
On rit beaucoup, tout en étant profondément bouleversé·e, sincèrement concerné·e par le destin de ces femmes. On a envie qu'elles s'en sortent. On se dit : "cette femme, ça pourrait être moi".
"Je voulais qu'on puisse se divertir à travers leurs histoires, mais aussi se reconnaître. Ces femmes nous ressemblent. Certaines d'entre elles sont plus diplômées que moi ! Elles n'ont pas besoin d'être actrices pour transmettre leur générosité à l'écran. Les comédiennes qui ont joué à leurs côtés ont d'ailleurs toutes dit qu'elles avaient tiré le film vers le haut", raconte Louis-Julien Petit.
L'autre force du film repose sur les assistantes sociales et les bénévoles, celles qui font vivre le centre et qui accompagnent chaque jour les femmes qui frappent à sa porte.
Celles qui, à l'instar d'Audrey (Audrey Lamy), de Manu (Corinne Masiero), d'Hélène (Noémie Lvovsky) et d'Angélique (Déborah Lukumuena), mettent leur vie personnelle de côté et se consacrent corps et âme aux femmes qu'elles ont pris sous leur aile.
L'assistante sociale Audrey arrive à convaincre Manu, la responsable du centre, de lancer des ateliers de coaching professionnel. Elle leur fait de fausses fiches de paie, demande à ses amis de les embaucher... et va parfois même jusqu'à les suivre à leur entretien d'embauche, en guise de soutien.
Des actions qui, en France, sont illégales. Le film montre les embûches administratives que les assistant·es sociaux·ales rencontrent au quotidien dans leur travail.
"Quand une personne sans-abri trouve un logement, elle perd tout contact avec le centre, ce qui peut rendre sa réinsertion dans la société difficile. Chacune a son propre rythme, et il faut parfois du temps pour arriver et même vouloir s'en sortir. On le voit par exemple avec le personnage de Catherine [celle qui s'endort tout le temps]", explique Louis-Julien Petit.
Les assistant·es sociaux·ales que le réalisateur des Invisibles a croisé·es au cours de ses investigations lui ont toutes répondu par un sourire énigmatique à la question : "Avez-vous déjà franchi des barrières pour aider ces femmes à s'en sortir ?" Une réaction qui en dit long sur les limites de ce système.
"Quand les lois ne sont plus adaptées, il faut les remettre en question, voire les transgresser pour plus de justice sociale", estime le cinéaste.
La fin du film, poignante, montre des femmes métamorphosées. Certaines partent la tête haute, d'autres ont encore un bout de chemin à parcourir. Mais jusqu'à la dernière minute, elles parviennent à nous faire sourire.
Pour son réalisateur, "le rire était la seule passerelle possible pour évoquer un sujet aussi difficile, tout en délivrant un message positif, porteur d'espoir. C'est à la fois un film d'amour, d'humour et d'humain".