C'est une décision radicale que les employé·e·s de l'Ehpad Bergeron-Grenier de Mansle en Charente ont prise conjointement le 24 mars : se confiner 24h sur 24h avec leurs 59 résident·e·s. Alors que l'épidémie de coronavirus gagne du terrain et frappe les plus populations fragiles de plein fouet (on dénombre 884 décès dans les maisons de retraite depuis le début de l'épidémie), cet établissement à but non lucratif a choisi cette solution afin de minimiser les risques de contamination.
"Je partais au travail avec la boule au ventre", nous confie Christine Leleux, agent de service hospitalier. "Même si on respectait les consignes, il y avait toujours un risque de contaminer nos familles ou nos résidents". Elle n'a donc pas cillé lorsque la possibilité d'un confinement total a été évoquée pour la première fois il y a quelques semaines. Et elle fait partie de ces 18 employé·e·s volontaires à s'être enfermé·es avec les pensionnaires de l'Ehpad. Elles sont 15 femmes (aides-soignantes, ergothérapeute, animatrice...) et 3 hommes (agent d'entretien, cuisinier et directeur) à passer leurs journées et maintenant leurs nuits dans cette bulle, laissant le temps de quelques semaines (et peut-être quelques mois) leur vie privée de côté. Avec pour mission de former un barrage supplémentaire contre le Covid-19.
"J'avais dit à ma famille que s'ils proposaient un confinement total, j'étais partante. Je n'aurais jamais pensé vivre ça dans ma vie, mais on protège nos aînés et notre famille avant tout. Je n'ai pas hésité une seconde, j'ai dit oui directement", explique Christine Leleux. "Mon conjoint est chez nous avec notre fils et nos deux autres filles sont avec leurs copains et leurs enfants. Ils ont compris ma décision."
Les employé·es resté·e·s à l'extérieur ne sont pas en reste et forment une chaîne solidaire, se chargeant des ravitaillements, déposés devant la porte de l'établissement. "Ils sont derrière nous".
Les résident·e·s, eux, ont été étonné·e·s de découvrir ces nouveaux pensionnaires qu'ils ne côtoyaient habituellement qu'en journée. Rassuré·e·s, aussi. "Ils parlaient beaucoup de l'épidémie entre eux. Plus que pour eux, ils ont peur pour la santé de leur famille", souligne Emmanuelle Dardillac, accompagnante éducative et sociale . "Depuis que nous avons décidé de nous confiner avec eux, ils sont plus épanouis. On le sent." "Ils ont compris qu'on était là pour eux et pour les protéger", renchérit Christine Leleux.
Un dortoir a été improvisé pour les employé·e·s, avec des matelas sur le sol, qui passent donc leurs nuits dans la résidence : "Les filles d'un côté, les garçons de l'autre. C'est comme une colonie de vacances", sourit Christine. Les volontaires aussi se sentent rassérénés dans cette bulle étanche, même si l'éloignement avec les proches pèse parfois sur le moral. "On se parle tous les jours par Snapchat ou téléphone."
Grâce à un site dédié, les proches des personnes âgées et des personnels peuvent suivre au quotidien ce qui se passe sous la "cloche" du Foyer Bergeron. "Comme chaque dimanche au foyer, c'est l'apéro ! Mais aujourd'hui, c'était un apéro particulier puisque nous étions tous ensemble. Du pineau au Ricard en passant par le kir, on sait se faire plaisir. Alors, nous avons tous trinqué pour repousser le Coronavirus !", rapporte la joyeuse gazette numérique. Et les conversations téléphoniques ou Skype sont devenues quotidiennes. Une façon supplémentaire de garder le contact durant cette période anxiogène.
Ces soignantes ont-elles le sentiment de s'être "sacrifiées" ? "Non", tranche Christine Leleux. "Nous avons fait le bon choix au bon moment." Un sentiment partagé par sa collègue Emmanuelle Dardillac : "Je ne suis pas une héroïne. J'aime juste mon travail et j'aime ces personnes."
L'initiative du foyer semble en tout cas faire boule de neige : d'un Ehpad à St-Tropez à Freyming-Merlebach en Moselle en passant par la Lozère, des dizaines de volontaires à travers la France prennent la décision de s'auto-confiner avec les pensionnaires des maisons de retraite. Autant de remparts humains pour affronter le virus et protéger les plus vulnérables.